L’inflation, ou l’anti-croissance
La tolérance à l’égard de l’inflation, voire l’affirmation de ses vertus font, en France, partie des croyances de certains économistes. Cela tient sans doute au fait que l’inflation n’y est pas essentiellement un phénomène économique, mais une manifestation psychosociologique. Ainsi a-t-elle sa source dans des comportements dont chacun croit tirer profit, ce qui lui donne un caractère permanent ou chronique et explique la confiance souvent accordée à ses mérites. D’où un paradoxe : l’inflation a longtemps compté en France plus de défenseurs que de bénéficiaires. Si l’opinion est en train de changer, c’est parce qu’elle découvre enfin le danger que l’inflation présente pour la croissance.
Celle dont traite Alain Chenicourt est l’inflation que l’on qualifie généralement de chronique, de permanente, de rampante ou encore de structurelle. Elle doit être distinguée de l’inflation conjoncturelle, due à des causes temporaires, encore qu’il y ait entre l’une et l’autre des liaisons importantes. Selon lui, la France continue de supporter, pour partie au moins, le poids d’un passé économique qui, par ses effets sur les prix, handicape sa croissance et rend son développement vulnérable malgré les progrès réalisés. En outre, se développent en France, comme dans d’autres pays industriels, les germes d’une véritable « société d’inflation », caractéristiques d’une économie qui est ou qui se croit postindustrielle, germes qui expliquent bon nombre d’aspects de l’inflation mondiale actuelle.
« Ainsi, existeraient deux sortes d’inflation : l’ancienne, plus proprement française, et la nouvelle, qui devient un fait mondial… La France est au carrefour des deux. Cumulant retard et progrès, conservatisme et hardiesse, son économie ajoute les survivances d’un passé trop étroitement national aux audaces d’une société en constante innovation. Le danger serait qu’elle troque, dans la mesure même où sa modernisation réussit, l’inflation d’hier pour celle, peut-être plus pernicieuse encore, qui se répand partout aujourd’hui ». Le livre est utile, car il peut aider à mieux lutter contre « un mal qui devrait répandre la terreur », à mieux connaître l’expression de ce que Freud appelait, voici plus de quarante ans déjà, « le malaise d’une civilisation ». ♦