Negociating with the Chinese communists (The U.S. experience 1953-1957)
Depuis la guerre de Corée jusqu’au voyage de M. Kissinger à Pékin, les seules relations entre les gouvernements de Washington et de Pékin furent les entretiens poursuivis à Genève (à partir d’août 1955) et à Varsovie (jusqu’en février 1970) auxquels il convient d’ajouter les négociations relatives au Laos en 1961-1962.
Membre de la délégation américaine à Panmunjon en 1953-1954, Kenneth Y. Young a écrit un ouvrage extrêmement utile. S’il peut paraître détaillé, il contient une mine d’informations et illustre également le nombre d’occasions manquées par Washington et Pékin pour rétablir des relations normales qui eussent été bénéfiques aux deux parties.
L’évolution des rapports entre Américains et Chinois à partir du printemps 1971 rend plus utile encore la consultation de ce livre. Au-delà de l’historique des conversations entre Ambassadeurs – reflétant diverses crises et détentes depuis 1953 – des constantes se dégagent, des précisions sont données sur le comportement et l’idéologie du négociateur chinois (que l’auteur qualifie curieusement de « sinocentriste-maoïste ») sur certaines thèses de la diplomatie chinoise, et enfin sur l’emploi d’un certain vocabulaire (les mots-codes utiles à connaître).
L’auteur garde une suffisante objectivité pour reconnaître que les attitudes officielles, les prises de position destinées au public, les rigidités, sinon les intolérances, ont été le fait des deux parties. Intransigeance de Foster Dulles due à sa conception manichéenne du monde, intransigeance de la Chine basée sur son sentiment de légitimité outragée et la certitude que le temps travaillait pour le communisme. « Le système socialiste remplacera en fin de compte le système capitaliste. Ceci est une loi objective, indépendante de la volonté des hommes » a déclaré Mao en octobre 1966. Selon les Chinois, cet affrontement peut durer des décennies – ou des siècles. Dans de telles conditions, il n’est pas surprenant que plus de cent trente réunions, marquées par « une intransigeance excessive, l’émotion et la méfiance » n’aient abouti qu’à un accord unique : celui relatif au rapatriement des civils. Sur tous les autres points : Taïwan, rapatriement des Américains détenus en Chine, désarmement nucléaire, Vietnam, ce fut l’échec.
Y a-t-il lieu de s’étonner ? Le système des relations entre les États-Unis et la Chine, analysé par l’auteur, met en évidence les difficultés d’un dialogue avec la Chine antérieures à l’avènement du communisme. À cet égard, Kenneth Y. Young a écrit quelques pages pénétrantes sur l’héritage chinois en matière de négociations avec les Barbares, sur les divergences à propos de la notion du temps, les syndromes émotionnels des deux camps, la double conception de Pékin sur les négociations avec les États-Unis, qualifié de « principal ennemi du peuple chinois ». Négociations ambiguës s’il en est : elles sont présentées au public chinois et à ses alliés comme une forme de la lutte contre l’impérialisme, mais elles sont néanmoins poursuivies avec l’adversaire avec, semble-t-il, le vœu de les voir aboutir. En termes clairs, la Chine entend ne pas perdre son crédit idéologique auprès des peuples socialistes, tout en maintenant les contacts avec l’adversaire par excellence. C’est là une attitude que Machiavel et le légiste chinois, Kong-sun-Yang, auraient approuvée. Mais une négociation avec l’adversaire ne peut être que « limitée » et conçue que si elle permet d’atteindre l’objectif constant et suprême : la destruction finale de l’impérialisme, considérée d’ailleurs comme inéluctable. Coexistence et négociation sont donc des expédients tactiques, des stratagèmes temporaires.
La constance de la diplomatie chinoise est rappelée par l’auteur. Dès avril 1955 à Bandoung, Chou En-laï précise à quelles conditions les relations peuvent se normaliser entre Washington et Pékin. Le Département d’État refuse alors d’engager le dialogue. Celui-ci ne peut se nouer à cause de Formose qui, aux yeux de Pékin, est une province chinoise (90 % des habitants sont d’ethnie Han). Cette affaire étant une « affaire intérieure » chinoise, Pékin considère l’intervention américaine comme contraire au droit des gens. Quant au gouvernement de Washington, il avait reconnu la légitimité de Tchang Kaï-chek et la refusait au gouvernement de Mao. Dialogue de sourds qui a conduit chacune des parties à prêter à l’autre des intentions stupéfiantes d’agressivité.
Un examen des relations spéciales entre les États-Unis et la République populaire de Chine aurait été incomplet si l’auteur avait négligé d’évoquer l’URSS et les relations dans le triangle Pékin–Washington–Moscou. Il l’a fait – un peu rapidement à notre gré – mais utilement. En 1955, Moscou fit pression sur Pékin pour favoriser une prise de contact, et lors de la crise de Taïwan, en 1958, Moscou intervint pour conseiller la patience à Pékin et la renonciation à l’emploi de la force. Par contre, depuis la détérioration des relations entre les deux capitales socialistes, des accusations de duplicité et de collusion ont été proférées. Les critiques que Moscou a formulées à l’égard des conversations sino-américaines analysées ici témoignent que « le gouvernement soviétique pourrait bien avoir été préoccupé de la possibilité du développement des relations et d’un rapprochement entre Américains et Chinois ». Dans le même temps, le gouvernement soviétique poursuivait une politique afin « d’isoler et de contenir son voisin la Chine rouge ». ♦