Le partage de l’Afrique
Les difficultés auxquelles se heurtent plusieurs pays d’Afrique noire pour bâtir une stabilité politique succédant à celle qu’assurait le régime « colonial » confèrent une particulière actualité à ce livre, indépendamment des rivalités internationales dont le continent est l’objet. D’autant que ce livre éclaire un paradoxe : si l’Afrique noire est aujourd’hui une zone-clef, pendant très longtemps les diplomaties qui la dominaient ne l’utilisèrent pas dans le concert des grandes Puissances… Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, les Européens qui en fréquentaient les côtes représentaient plutôt des intérêts privés que des États.
Il n’y avait alors de souveraineté étrangère que sur quelques points de la côte de l’Angola et du Mozambique, sous domination portugaise, dans la Gambie britannique et au Sénégal français. Puis les Anglais furent conduits à créer des « colonies de la Couronne » en Sierra-Leone en 1807, en Gold Coast en 1830 et en 1874, à Lagos en 1861. Ils s’emparèrent également de la colonie du Cap, que les Hollandais leur abandonnèrent en 1815 : c’était une précieuse escale sur la route des Indes. La France, elle, n’avait aucune raison de se passionner pour l’Afrique. Mais les marins, ulcérés d’avoir dû céder l’île de France (à laquelle les Anglais redonnèrent son nom hollandais d’île Maurice) cherchèrent des compensations : ils les trouvèrent dans la fondation de trois petites colonies, dans l’estuaire du Gabon, à Grand Bassam et à Assinie, en Côte d’Ivoire. Le mouvement était lancé, qui devait faire de la France une grande puissance africaine (sans, d’ailleurs, que l’opinion publique s’y intéressât). C’est la découverte du Congo qui mit subitement aux prises un grand nombre de copartageants. Paradoxe encore : nul, vers 1870, ne se souciait vraiment du Congo et, avec Livingstone, les savants européens s’intéressaient aux sources du Nil. Mais paradoxe qui devait jouer un grand rôle dans la politique européenne, comme en témoignent, d’abord la Conférence de Berlin de 1884-1885, ensuite plusieurs traités (germano-britannique du 1er juillet 1890, franco-anglais du 5 août 1890, franco-britannique du 8 avril 1904), enfin certaines tensions. Cette histoire du partage de l’Afrique est plus européenne qu’africaine. Henri Brunschwig met en lumière trois traits essentiels :
– la véritable volonté de partage date de la généralisation, après 1890, de la notion de sphère d’influence, contraire à celle d’occupation effective définie par la Conférence de Berlin ;
– l’expansion coloniale en Afrique a été, aux yeux des chancelleries, une question secondaire, subordonnée au jeu des alliances et des rivalités en Europe ;
– l’accélération du partage fut fonction des nationalismes et du progrès technique en Europe. Comme il est de règle dans cette collection, l’exposé des faits est suivi de la présentation de documents et de l’analyse de problèmes d’interprétation, dont certains suscitent encore des controverses. ♦