Renaissance du Plan
C’est sur une vue assez sombre de l’avenir offert à notre humanité que s’ouvre l’ouvrage de Claude Gruson, inspecteur général des Finances honoraire, ex-directeur général de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) et directeur d’études aujourd’hui à l’École pratique des hautes études (EPHE). Il nous invite néanmoins à rechercher avec lui comment rendre une vie et une foi nouvelles à la planification. À ne considérer que leur comportement anarchique dans une compétition sans frein, les quatre milliards d’hommes de notre planète donneraient à penser qu’il n’est pas possible d’établir entre eux l’intercommunication capable de leur faire prendre conscience du danger commun qui les menace et de la nécessité de s’unir pour y parer. Comme pour marquer la modestie de son propos en s’attaquant à un sujet aussi considérable, l’auteur se compare au marin de Vigny lançant une bouteille à la mer ; le message qu’elle contient ne se laisse cependant pas résumer aisément.
Ce qui frappe d’abord Claude Gruson, c’est la fatalité du mécanisme qui entraîne la vie économique et sociale : savants et techniciens ont beau maîtriser ses moteurs que sont la concurrence et l’innovation, aucune volonté individuelle ni collective n’est en mesure de contrôler la direction que prend un mouvement qui va en s’accélérant depuis que l’ordinateur a conféré aux méthodes de décision toute la puissance dont elles étaient chargées.
À quels abîmes courrons-nous avec une si vertigineuse accélération ? La liberté d’entreprise ne suffit pas à assurer le mieux-être de l’homme, elle accentue au contraire les inégalités. Ainsi grandit chaque jour à l’horizon un avenir de violence et d’injustice. Pour en arrêter le développement il faut créer des institutions ordonnatrices du développement social et capables de rechercher les voies optimales pour les problèmes bien connus dont le VIe Plan n’a fait, selon lui, qu’une trop timide esquisse : la politique des revenus, celle de l’emploi, celle de la formation professionnelle et de l’éducation. Leur résolution implique une vue à long terme et un système de recueil des informations permettant de déterminer le cap à suivre et les corrections nécessaires en cours de route. Il faut aussi une certaine marge de liberté à l’égard des structures établies pour en vaincre l’inertie et la résistance au changement. L’édifice majeur de ces institutions nouvelles serait une « Cour économique suprême ». On regrettera que l’auteur n’indique pas quel lien la liera au politique, si elle doit avoir la force et la volonté nécessaires à la poursuite d’objectifs aussi ardus que ceux qu’il lui assigne. Il n’en reste pas moins qu’elle pourrait jouer le rôle capital d’un centre privilégié de concertation et de recherche des limites – étroites, hélas ! il le souligne – entre lesquelles peuvent évoluer les variantes du Plan.
C’est sur un acte de foi que se termine cette invitation à la réflexion : la foi en la vertu d’une espérance de type évangélique, seule capable d’offrir à l’homme un horizon assez lumineux et assez élevé pour le réconcilier avec son action aujourd’hui. ♦