Jours de gloire et jours cruels – 1908-1958
Après avoir énoncé, dès les premières pages de ses mémoires : « Pour qu’il le soit d’emblée, il me plaît d’indiquer avant de retracer cette carrière, quel en fut le mobile constant. Ce mobile n’est rien d’autre que le patriotisme, idée simple et sentiment puissant », l’auteur dans les dernières pages écrit : « que le patriotisme doit être la vertu première pour qui a choisi de se vouer aux affaires publiques ». À une époque où cette notion est souvent contestée, on ne peut qu’éprouver de la sympathie pour quiconque se définit lui-même et définit le motif de tous ses actes de façon si nette.
Et il est clair que Joseph Laniel a vécu en conformité avec son idéal : jeune officier de réserve, combattant de la Première Guerre mondiale dans la même division d’infanterie pendant quatre ans, homme politique conservateur, membre du Conseil national de la Résistance (CNR), chef de Gouvernement, dans ces pages si variées d’une existence bien remplie, le souci du bien du pays, l’amour de la France sont inscrits en filigrane.
Servi par la chance, introduit très jeune encore dans la grande politique de la façon la plus inattendue, porté au pouvoir par suite d’une conjoncture dont il reconnaît lui-même le caractère fortuit, il est sans doute, malgré des échecs et des déceptions, un homme « heureux ». Content de lui ? Peut-être, mais pourquoi pas ? Car si l’égalité protocolaire d’un moment ne confère pas une équivalence devant l’Histoire, il n’en demeure pas moins que le Gouvernement Laniel dura plus longtemps que beaucoup d’autres de la IVe République et ne fit pas un médiocre travail dans le domaine social et le domaine économique.
Néanmoins si Laniel effleura l’Histoire, il ne la fit pas. Son récit se lit agréablement malgré quelques répétitions et une tendance à ne faire apparaître, en ce qui le concerne, que le « bon côté » des choses : clairvoyance dans les années 1930 quant aux mesures à prendre pour résoudre la crise économique et sociale, perspicacité pour mesurer les erreurs de notre politique étrangère et de notre politique de défense avant la guerre. Mais ses conseils ne sont pas entendus. Et de façon analogue, il décrit les vues justes qu’il avait, en tant que Président du conseil, sur la stratégie à appliquer en Indochine, sur la nécessité de jeter les bases de la construction européenne. Là encore, il n’a été ni compris par le Commandant en chef, ni suivi par le Parlement et c’est Dien Bien Phu. Puis viendra l’échec de la Communauté européenne de défense (CED), la chute du Gouvernement Laniel au moment où s’amorcent de façon sérieuse les négociations de Genève.
Homme sage, convaincu d’avoir vu clair et d’avoir agi au mieux de ses possibilités, il a accepté avec sérénité son échec à l’élection présidentielle de décembre 1953, dans une compétition où le régime de la IVe République donna les signes de son déclin.
En bref, Jours de gloire et jours cruels apporte une contribution intéressante à l’histoire de notre temps. Certes les « mémoires », par définition, expriment toujours des vues subjectives : dans le cas présent, la personnalité de l’auteur n’en sort pas diminuée, bien au contraire. ♦