Le Front populaire, grande espérance
Le Front populaire de 1936 a été – il l’est encore dans une certaine mesure – un des épisodes les plus âprement discutés de la vie politique française de l’entre-deux-guerres. Jules Moch, qui en a préparé l’avènement et qui a participé activement au gouvernement de Léon Blum, estime que ces discussions n’ont pas encore épuisé le sujet et que le moment serait venu de substituer aux polémiques une appréciation objective des événements. C’est ce qu’il s’efforce de faire, avec plus ou moins de bonheur.
À l’actif de son effort, il faut noter le souci de placer la période du Front populaire dans la perspective historique de l’époque ; de ne pas, en quelque sorte, l’isoler de son contexte.
Il est certain, en effet, qu’un jugement objectif n’est pas possible si on oublie que la situation générale en Europe, en particulier la montée des fascismes en Allemagne, en Italie, en Espagne, exigeait impérieusement, en France, une réaction contre les forces conservatrices qui, s’obstinant à ne voir midi qu’à leur porte, ignoraient, ou feignaient d’ignorer, la terrible menace. De même, la véritable cassure entre la classe ouvrière et la bourgeoisie dirigeante provoquée par la politique déflationniste de Laval, recelait de graves dangers non seulement pour l’unité du pays, mais pour l’ordre social et pour la République elle-même.
Il n’est guère équitable non plus de faire le bilan du Front populaire en feignant de lui attribuer une série de méfaits qui furent une conséquence de la guerre beaucoup plus certainement qu’une séquelle du Programme du Rassemblement populaire du 11 janvier 1936. Et il est également bon de rappeler que de nombreux points de ce programme tels que : les congés payés, la réduction de la durée du travail, le fonds national de chômage, la nationalisation des industries d’armement, etc., sont aujourd’hui considérés par la très grande majorité des Français comme une contribution essentielle et irréversible au perfectionnement de notre civilisation.
Il faut donc savoir gré à Jules Moch d’avoir analysé avec précision et parfois avec minutie ces différentes données que beaucoup d’auteurs ont tendance à négliger.
Mais, au passif de son entreprise, il faut noter qu’il ne s’est sans doute pas assez détaché des péripéties de la période qu’il nous raconte. Aussi les portraits qu’il trace des différents personnages qu’il a côtoyés manquent-ils parfois de sérénité : assez flatteurs pour ses amis politiques, ils paraissent trop sévères pour les opposants. En fait, c’est en homme politique qu’il nous présente les événements, beaucoup plus qu’en historien.
De même, ses analyses et interprétations des différentes statistiques qu’il utilise dans son argumentation sont à peine plus convaincantes que celles dont il cherche à démontrer le parti pris.
Beaucoup de socialistes de l’avant-guerre avaient tendance à aborder l’action par le biais des théories politiques. C’est peut-être à cette tendance qu’il faut attribuer l’attitude trop idéaliste des gouvernants du Front populaire face aux problèmes de la sécurité de notre pays dans une Europe de plus en plus dévoyée et leur erreur quant aux priorités des efforts à demander au pays Le Programme du Rassemblement insistait surtout sur la collaboration des peuples, sur le rôle de la Société des Nations (SDN), sur la réduction générale, simultanée et contrôlée des armements, sur les pactes ouverts à tous, etc. On n’y trouvait pas une seule ligne consacrée à la nécessité de réarmer la France. Le concept et le terme même de défense nationale restaient étrangers à la plupart des leaders de 1936.
Puisse la terrible leçon qui suivit cette ignorance ne pas être perdue ! Et c’est en ce sens que le livre de Jules Moch garde valeur d’enseignement et fournit au lecteur une occasion de réflexion sur les événements si lourds de conséquence d’une période dramatique de notre histoire. ♦