Les chênes qu’on abat
Toute la presse écrite et parlée, les quotidiens et les revues, la radio et la télévision, ont réservé une large place à l’événement littéraire – et dans une certaine mesure politique – que constitue la récente parution du dernier ouvrage d’André Malraux. Les critiques les plus réputés et les plus qualifiés ont scruté, analysé, cité et paraphrasé à loisir ce message, certainement exceptionnel, de notre plus grand écrivain vivant.
Dans ces conditions, nous avons pensé qu’il n’était sans doute guère utile d’en rendre compte d’une façon détaillée dans notre Revue, car la plupart de nos lecteurs ont déjà eu l’occasion de se faire une opinion.
Ils savent qu’il s’agit du dernier entretien, en décembre 1969, entre le général de Gaulle, retiré à Colombey, et André Malraux, c’est-à-dire entre un « homme de l’Histoire » et un grand artiste. Il est évident pour l’auteur – et il nous en prévient dès les premières lignes – que le compte rendu fidèle, en quelque sorte sténographique, d’un tel dialogue ne présenterait d’intérêt qu’anecdotique, et ne nous apprendrait pas grand-chose de véritablement vrai sur les deux protagonistes et sur la tranche d’événements historiques qu’ils ont vécue simultanément et souvent de concert. Aussi, André Malraux, négligeant la facilité qu’aurait pu lui fournir son étonnante mémoire, s’est-il refusé à utiliser ici son talent de reporter. Il a traité son sujet en poète, ne faisant appel qu’à ses dons étonnants de magicien de la pensée et des mots. Il nous émerveille et nous envoûte, sans sérieusement penser à nous faire comprendre par la raison ce qu’il a voulu dire. Nous refermons son livre et prêtons longtemps l’oreille aux échos mystérieux qu’il a réveillés en nous. Nous avons eu une révélation – laquelle et de quoi ? – qu’importe après tout !
L’art parle à chacun le langage qu’il veut, ou peut, ou sait entendre. ♦