Le hasard et la nécessité. Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne
Quand un savant parle, il semble naturel que l’ignorant l’écoute et s’efforce, s’il le peut, de le comprendre. S’il est ardu de suivre toutes les démonstrations auxquelles se livre Jacques Monod à propos des phénomènes que met en lumière la biologie moléculaire, il est aisé de comprendre les conclusions auxquelles elles l’ont amené. L’origine de la vie provient d’un hasard ; mais la vie s’inscrit dans un ensemble de données nécessaires, c’est-à-dire de lois qui sont dès maintenant découvertes ou pressenties. L’évolution des espèces prend un sens nouveau que Darwin n’avait pu prévoir, ni même soupçonner et qui se précisera davantage lorsque les recherches auront permis d’aller plus loin dans la connaissance. Celle-ci est fondamentalement objective : elle constate les phénomènes et les relie entre eux. Mais cette objectivité résulte d’un choix éthique ; elle est une valeur par elle-même. Aussi le savant, qui sait que l’angoisse de l’homme devant son être, son avenir, sa finalité, ne pourra jamais être éteinte par une explication scientifique, peut-il se réfugier dans l’éthique de la connaissance et y trouver une échelle de valeurs qui corresponde aux degrés de la science.
C’est une donnée morale très haute. L’homme crée lui-même et par sa propre volonté une vérité qu’il n’attend plus des mythes, des religions ni des métaphysiques. Mais est-ce un réconfort spirituel suffisant ? On pourrait évoquer une sorte de « solution de rechange » qui, à défaut de l’essentiel, fournit un aliment à un besoin, inscrit dans le code génétique de l’homme, auquel il faut à tout prix et de toute façon satisfaire. La biologie, « la plus signifiante de toutes les sciences », écrit l’auteur en montrant qu’elle s’efforce « d’élucider la relation de l’homme à l’univers », déboucherait alors, comme la Science tout entière, vers une fausse sortie, quelle que puisse être l’importance de ses découvertes et leurs applications pratiques ; elle n’aboutirait qu’à une vérité incomplète, qui ne satisferait pas l’homme. Car celui-ci veut savoir qui il est plutôt que comprendre comment il s’est formé au long des millénaires.
Jacques Monod pense que certaines données scientifiques sont actuellement suffisamment prouvées pour mériter d’être considérées comme des certitudes irréversibles. Cette affirmation peut surprendre. On préférerait dire que certaines hypothèses de travail semblent devoir servir longtemps. C’est peut-être suffisant pour autoriser à se donner une éthique personnelle ; ce ne l’est pas pour baser une philosophie.
Et la vérité la plus profonde est que le savant et l’ignorant restent également seuls devant le mystère de Dieu. ♦