Il y a quelques années encore, la stratégie nucléaire et ses problèmes se trouvaient au centre des discussions militaires. Désormais, ce sont les questions posées par les armes guidées avec précision (Precise Guided Munitions), ou armes de précision, qui paraissent prendre le relais. Certains experts fondent sur elles une double espérance : l'intervention des armes de précision pourrait, d'une part, diminuer sensiblement le danger du recours aux moyens atomiques, et d'autre part permettre aux forces armées de réduire éventuellement leurs effectifs. Si la première de ces propositions est parfaitement admissible, au moins dans certaines circonstances, la seconde, selon l'auteur de cet article est à rejeter absolument.
Sans doute le recours aux armes de précision provoquera-t-il une véritable mutation dans les éléments de base de la bataille. Mais le tout est de savoir de quelle manière et sous quelles formes. Une vieille expérience nous apprend que l'apparition de nouvelles armes n'a son plein effet que si celles-ci sont employées en quantités suffisantes et dans le cadre tactique correspondant à leurs caractéristiques. Sachons appliquer cette vérité aux armes de précision et nous pourrons admettre qu'il résultera de leur emploi une image de la guerre fort différente de celle qui est actuellement prévue.
La physique nous enseigne que dans un système où deux forces se neutralisent réciproquement, d'autres forces deviennent décisives. Cette loi s'applique aussi bien à l'évolution des formes de combat. Dans la mesure où les chars et les avions, ces systèmes d'armes essentiels de la guerre de mouvement, voient, dans l'un et l'autre camps, leur action de plus en plus enrayée par les techniques qu'on leur oppose (armements antichars et antiaériens), l'importance du combat d'infanterie, dans une conception moderne, devrait s’accroître. Puisque les armes de précision ne se justifient que contre des cibles importantes, principalement chars et avions, et perdraient leur raison d'être contre la poussière d'objectifs infimes offerts par une infanterie nombreuse et dispersée, la victoire restera finalement à celui qui disposera des « plus gros bataillons ».
Telle est la thèse que la présente étude entend soumettre à discussion. Notre revue l'accueille comme une contribution au débat que suscitent depuis quelque temps les concepts de certains experts américains ou européens de l'Otan qui tendent à faire des armes guidées avec précision un substitut ou du moins un frein à l'emploi de l'arme nucléaire tactique.