La grande mutation. Vers une nouvelle société
L’auteur dit de son livre qu’il est « superficiel », parce qu’il n’aborde qu’une partie du sujet très vaste auquel il s’est attaqué. Il est certain que la définition d’une nouvelle société demanderait les tomes d’une Encyclopédie, si elle portait sur l’ensemble de l’organisation et des aspects de la vie collective. Le lecteur, au terme d’une lecture fort longue, mais aisée, ne partagera pas le jugement de l’auteur. Il lui semblera plutôt que ce livre est un échantillonnage, présenté en fonction d’une idée directrice, de ce que pourrait être la société de demain telle qu’elle peut être envisagée à partir des signes et des indices d’aujourd’hui.
L’idée directrice est que le phénomène nouveau, celui qui entraîne déjà et doit encore davantage entraîner bientôt une mutation, est l’apparition de la connaissance comme moteur essentiel du monde : la connaissance, c’est-à-dire à la fois l’instruction et l’expérience, telles qu’elles se présentent réunies par l’information moderne. La connaissance devient ou va devenir le facteur essentiel de la production, beaucoup plus importante que ne l’ont jamais été le capital et le travail, en même temps que le moteur de la consommation qui, selon l’auteur, détermine l’économie. On comprendra alors que les différences et les oppositions actuelles entre les théories et les systèmes – entre le capitalisme et le socialisme, par exemple – ne sont que des « malentendus ». La société prochaine sera d’abord basée sur une économie vraiment mondiale et non sur des économies nationales qu’unissent plus ou moins étroitement des relations internationales ; les entreprises multinationales prouvent, par leur développement constant, la mutation prochaine de l’ampleur de l’économie. Les gouvernements sont évidemment dépassés par cette brusque évolution ; leur rôle est généralement compris d’une façon conservatrice et retardataire ; il doit être de stimuler une économie de vastes entreprises privées, ou gérées suivant les principes de l’économie privée ; car peu importe qu’elles appartiennent en fait à un État ou à un groupe d’actionnaires. Le rôle social de l’entreprise sera mieux assuré si elle est autonome et possède une bonne gestion. C’est donc vers une organisation pluraliste que s’oriente la société sous la conduite de gouvernements capables, dans de vastes ensembles, de diriger chacune d’elles en fonction des autres, comme un chef d’orchestre fait jouer ensemble de nombreux instruments sans en jouer lui-même d’aucun.
L’individu, dans cette organisation pluraliste, trouvera sa place et la possibilité d’utiliser pleinement ses facultés et ses goûts, en partageant sa vie active en deux carrières dans lesquelles seront exploitées ses qualités, au moment où elles se manifestent de la façon la plus complète et la plus efficace ; il aura alors, pour son bien et celui de la collectivité, la plus grande productivité pour le moindre coût.
Ce résumé, très incomplet, doit cependant faire la part de la méthode de l’auteur, qui procède souvent par paradoxe et met volontiers en jeu un humour rapide, mais incisif. Aussi la lecture de ce livre est-elle particulièrement riche en réflexions de toutes sortes qui ont l’avantage de baigner dans un optimisme objectif. Il n’est pas si fréquent de voir peindre l’avenir autrement que sous des couleurs sombres et des traits austères. ♦