Mémoires. T. II. De Stalingrad à Berlin (1942-1946)
Dans notre numéro d’octobre 1970, nous avons rendu compte de la publication du Tome I de ces Mémoires. On retrouve dans le second tome les mêmes qualités de clarté et de vivacité dans le style, la même facilité de lecture, ainsi que le souci de traiter essentiellement des questions strictement militaires, sans entrer dans les discussions politiques. L’orthodoxie communiste du Maréchal reste évidemment entière et à maintes reprises affirmée.
Mais le champ d’observation de l’auteur s’élargit. Adjoint au Commandant en Chef, Staline, et à ce titre chargé de multiples missions de coordination entre les Fronts, aux points les plus sensibles des opérations, assurant directement le commandement d’un Front dont l’action est déterminante, le Maréchal Joukov est à la fois membre de la Stavka qui dirige les opérations militaires et exécutant de haut rang. À ce titre, il était remarquablement placé pour donner de l’ensemble des opérations, et plus particulièrement de celles dont il était personnellement chargé, un récit documenté. C’est ainsi qu’il raconte, de façon particulièrement saisissante, la bataille de Stalingrad, celle de Koursk et enfin celle de Berlin, outre quelques autres manœuvres de moindre envergure et de moindres conséquences. Il n’hésite pas à réfuter certaines affirmations parues dans les historiques officiels et dans certains mémoires des autres chefs soviétiques, et à rétablir ce qui lui paraît, en témoin direct, être la vérité.
Sa collaboration avec Staline montre que ce dernier exerçait réellement le commandement, avec bonne humeur ou brusquerie, suivant le moment, mais selon ses propres idées, qu’il modifiait d’ailleurs si les arguments de ses collaborateurs lui semblaient dignes d’être retenus. L’auteur donne, de ses nombreuses et fréquentes conversations avec Staline, des récits généralement courts mais bien conduits et fort intéressants.
Le Maréchal Joukov entend démontrer que la guerre aurait été gagnée par les seules forces soviétiques. Il reconnaît évidemment que le débarquement des Alliés occidentaux en Europe soulagea le commandement à Moscou, mais il minimise fortement l’importance militaire de l’intervention à l’Ouest. De même, il écrit explicitement que l’aide américaine et anglaise, sur le plan économique et industriel, fut d’un faible poids dans la victoire soviétique, en comparaison de l’énorme effort qui s’accomplissait sur le territoire même de l’URSS.
De nombreuses anecdotes, toutes à la gloire du combattant du rang, illustrent ces Mémoires où figurent aussi les souvenirs de la capitulation allemande du 9 mai 1945.
Dans leur ensemble, ces Mémoires présentent un intérêt essentiellement militaire, et apportent un témoignage de première main que les historiens auront tout loisir de consulter et d’utiliser, mais non, sans doute, sans en avoir fait d’abord une critique attentive. ♦