Mémoires
Publiés en Angleterre en 1965, ces Mémoires paraissent en traduction française avec un long retard. Ils démontrent amplement qu’une guerre se gagne ou se perd avant d’avoir été livrée, tant sa préparation est capitale. L’auteur, en se référant à ses nombreuses études publiées depuis 1919 jusqu’au début de la Seconde Guerre mondiale, montre qu’il avait annoncé la valeur du binôme char-avion, l’importance de l’action profonde sur les arrières de l’ennemi – ce qu’il appelle d’un mot célèbre, mais à notre avis impropre, « l’action indirecte » – et, d’une façon générale, toutes les méthodes tactiques et les procédés techniques qui ont valu la victoire aux Allemands, puis aux Alliés.
Il raconte comment ces prévisions pertinentes se heurtèrent à l’incompréhension de l’État-major anglais, hésitant et rétrograde, et n’eurent en fin de compte que des réalisations très timides et très partielles, insuffisantes en tout cas pour consacrer une véritable révolution dans les faits, même alors qu’il la prêchait en théorie. Liddell Hart était pourtant bien placé pour répandre ses idées ; il avait des contacts avec les chefs militaires et les dirigeants politiques ; il écrivait dans la grande presse, et publiait de nombreux ouvrages, lus par toute l’intelligentsia des pays développés. S’il réussit à convaincre certains hommes influents dans son propre pays, et à confirmer dans leurs idées les Allemands qui reconstruisaient leur armée à partir de rien, il prêcha cependant dans le désert pendant les années cruciales de l’entre-deux-guerres.
L’auteur explique longuement et sans fausse modestie le rôle qu’il a joué. L’intérêt du lecteur se porte davantage sur la leçon qui se dégage de l’ensemble de son ouvrage que sur les détails de celui-ci. La recherche, en matière militaire, nécessite l’étude approfondie des campagnes passées, fût-ce les plus lointaines, et sur son adaptation exacte aux conditions du moment. La difficulté majeure est le passage de la théorie à l’action, c’est-à-dire l’assouplissement de la première aux impératifs de la seconde, en maintenant toutefois la vigueur de l’idée initiale, toujours simple et presque évidente pour ceux qui se sont convaincus de son bien-fondé. Dans l’armée, comme dans le public, la « masse » est sans opinion arrêtée, donc « à prendre » par des arguments opportunément choisis ; mais elle a peu de poids par elle-même ; les hommes en place décident et c’est de leur attitude que dépend finalement l’évolution ou la révolution que le penseur militaire souhaite ; aussi convient-il que cette masse s’instruise davantage et soit prête à jouer son rôle, d’une façon active, dans la transformation des idées. ♦