Mémoires. T. I : Des années de jeunesse à la bataille de Moscou (1886-1941)
Les souvenirs antérieurs à 1940 n’ont guère qu’une valeur anecdotique ; l’auteur ne parle que d’une façon sommaire et très générale de la Première Guerre mondiale, de la guerre civile et de la formation progressive de l’Armée rouge entre 1923 et 1939. L’intérêt s’éveille véritablement lorsque l’auteur raconte les conditions dans lesquelles il exécuta, de juin à novembre 1939, une mission de commandement dans un conflit frontalier entre la Mongolie Extérieure et le Japon ; il y effectuait son apprentissage direct de chef opérationnel et remplissait déjà le rôle qui allait être si souvent le sien : rétablir ou sauver la situation au moment d’une crise grave. C’est ainsi qu’étant Chef d’État-major général de l’Armée rouge en juin 1940, il sera envoyé sur le front sud-ouest, puis sur le front ouest, puis sur le front de Leningrad, et enfin sur le front ouest à nouveau, où il livrera la bataille qui sauva Moscou.
Il faudrait étudier chaque paragraphe de cette partie de ses Mémoires et le comparer avec les autres témoignages historiques des deux armées opposées pour juger, en connaissance de cause, de la valeur des souvenirs de l’auteur et du poids qu’ils peuvent avoir dans l’établissement de la vérité. Mais on peut noter que Joukov, qui n’a fait aux purges dont souffrit l’armée soviétique immédiatement avant la guerre, qu’une courte allusion d’une ligne, évite en général de s’engager dans des domaines susceptibles de provoquer des polémiques. Il reconnaît, plus implicitement qu’explicitement, l’extraordinaire désordre et les graves insuffisances de l’Armée rouge dans les premières semaines de la guerre. Il fait apparaître, par son seul récit, la confusion qui régnait dans le haut commandement russe, et jusqu’au sein de cette Stavka à laquelle il appartenait et qui ne comprenait que quelques personnalités constituant, autour de Staline, l’instance suprême du commandement militaire. Il exalte le courage du combattant russe, insiste sur l’efficacité de la propagande politique dans l’armée et développe, en somme, la thèse que l’échec allemand est dû avant tout à la volonté du peuple russe, soutenu par le Parti, de défendre le sol national.
De Staline, le Maréchal Joukov trace un portrait de première main ; on sent qu’il a pour l’homme une profonde admiration, encore qu’il raconte quelques anecdotes montrant sa nervosité et ses malencontreuses initiatives dans des affaires de détail. Mais, notamment, il dit que Staline a continué d’être l’âme de la défense dans les tout premiers jours de la guerre, alors que la majorité des auteurs admettent ou laissent entendre qu’il eut « un passage à vide » et ne reprit les rênes qu’une dizaine de jours après le début de l’attaque allemande. Il reconnaît à Staline de grandes qualités d’organisateur, une intuition qui allait bientôt se confirmer en connaissance technique des questions militaires et le rendait digne du poste de Commandant suprême ; enfin, par-dessus tout, il rend hommage au symbole que fut Staline, qui incarna véritablement la Nation et le Parti à la fois.
Le style est direct, clair. Les idées portent davantage sur l’action que sur la philosophie que l’on pourrait en tirer. Aussi la lecture de ce premier tome de Mémoires est-elle facile.
Le deuxième tome vient de paraître : nous en rendrons compte prochainement. ♦