En une seule année
Il est déplaisant de voir une fille renier son père, cette fille fût-elle une femme et une mère de famille, ce père Staline. « Tes père et mère honoreras… ».
Cependant, le destin de Svetlana Alliluyeva est un destin hors-série. On n’est pas impunément l’enfant de Staline ; on ne supporte pas aisément la présence d’un tel père, ni moins encore son lourd héritage. Reprenant certains traits qui apparaissaient déjà dans son précédent ouvrage, Vingt lettres à un ami, l’auteur les renforce et oppose le souvenir lumineux qu’elle a gardé de sa mère à l’image de plus en plus sombre qu’elle se fait progressivement de son père, cherchant ainsi à balancer entre ses parents, au détriment du second, le capital affectif qu’elle possède vis-à-vis d’eux. Compensation ? Peut-être, à la fois consciente et presque volontaire, et inconsciente. Enfant écrasée par sa situation hors-série, jeune femme bravant l’hostilité de son père pour se marier une première fois, ne retrouvant pas son accord dans un second mariage, qui est malheureux, personnage marginal mais indispensable au moment de la mort du dictateur, mère de famille tentant de reconstituer un foyer avec un Indien beaucoup plus âgé qu’elle et devant se plier, cette fois, aux interdictions formelles de Kossyguine, Sevtlana Alliluyeva se heurte constamment aux murs d’une prison qui l’enferme. C’est alors un désir d’évasion à tout prix qui se forme inconsciemment en elle, puis émerge brusquement lorsqu’elle se trouve en Inde, surveillée de près par le personnel de l’ambassade soviétique et causant des soucis au gouvernement indien de Mme Indira Gandhi. Elle « choisit la liberté » avant même de l’avoir découverte, progressivement, en Inde d’abord, puis en Suisse, enfin aux États-Unis où il lui semble qu’elle va pouvoir s’épanouir, après tant d’années de contrainte.
C’est là l’essentiel de cet ouvrage de lecture facile et attachante. Les souvenirs de l’URSS, la description des milieux dirigeants de Moscou sont ce que l’on pouvait attendre. Ils sont sans indulgence. C’est un nouveau balancement entre la lumière de l’Occident et les ténèbres dans lesquelles se débat la société russe, reproduisant en quelque sorte les conflits mère-père et individu-autorité qui ont déchiré l’auteur. Ainsi s’établit l’architecture d’un long récit en apparence fait de l’histoire de douze mois d’une vie et de souvenirs. ♦