Lettre ouverte à quatre milliards d’hommes
Nous croyons naïvement que la science nous a apporté et continuera de nous donner, outre les biens matériels, des connaissances précises et définitives sur ce que nous sommes et ce pour quoi nous sommes. Lorsque nous découvrons, au prix d’une simple réflexion objective, qu’elle nous laisse moins sûrs de nous et de notre devenir que ne l’étaient nos aïeux confirmés dans des croyances simples, nous nous prenons à douter plus encore de nous-mêmes que d’elle. Alors nous rejetons notre surprise et notre déception et vivons « sans problème », ou nous nous sentons prêts à atteindre le fond de la désespérance. Si dans l’ordre biologique, par suite des mutations successives dont est faite l’évolution, nous « émergeons » peu à peu d’un niveau pour nous hausser à un autre, dans l’ordre intellectuel et plus encore spirituel, nous sentons devant nous s’épaissir le mystère alors que nos connaissances augmentent. Nous nous réfugions dans la morale, qui « consiste à faire mieux que l’instinct ». Ainsi, dans le domaine de l’économie, la planification fait-elle aussi « mieux que le marché » ; mais nous en savons vite les limites et les impossibilités.
La science expérimentale nous déçoit dans ses réussites les plus extraordinaires, et nous sentons qu’elle est insuffisante à combler nos désirs ; l’art, la religion, la morale, la philosophie, qui n’ont pas sa certitude, nous demeurent indispensables. « L’homme peut vivre sans certitude ; il ne peut pas vivre sans hypothèses ». L’homme a besoin à la fois de la « vie vraie », telle que la lui décrit de plus en plus minutieusement la science, et de la « vraie vie », telle que l’enseignent les quatre anciennes et toujours actuelles démarches de notre esprit.
Telles sont les idées développées dans ce texte assez court, frappant par la simplicité et l’authenticité de son raisonnement, par la sincérité de sa recherche, par sa conclusion philosophique et optimiste sur la condition humaine de notre temps. Un livre assurément que nul ne peut trouver indifférent et qui répond, au moins partiellement, à l’inquiétude de chacun. ♦