La crise de confiance. Les idées, le pouvoir et la violence en Amérique
En groupant des études et des articles parus au cours des trois précédentes années, en les refondant afin d’en faire un ensemble bien cohérent, l’ancien collaborateur du président Kennedy fait un tableau moral de l’Amérique actuelle, sans complaisance mais sans pessimisme. Pour lui, il est évident que les États-Unis ont perdu confiance en eux-mêmes, tant en leur certitude de bien faire qu’en leur force de réaliser leurs entreprises.
Le déchaînement d’une civilisation de violence, excès inattendu d’un libéralisme total qui autorisait et provoquait la lutte sans pitié entre des rivaux, a conduit à une situation de crise dans laquelle la honte le partage avec la tentation ; les Américains rougissent de leurs actes, mais peuvent difficilement s’en abstenir. C’est aussi la conséquence des guerres fréquentes dans un pays qui n’avait connu depuis sa création que des conflits marginaux, en dehors de la guerre civile qui le déchira. Dans cet entraînement où l’acte précède la réflexion, les Américains se surprennent eux-mêmes à l’heure de celle-ci. Ils s’en prennent alors aux informations incomplètes ou erronées qu’ils ont reçues, aux structures mêmes de la société de consommation qu’ils connaissent mieux que tous les autres peuples et dont ils bénéficient davantage. Ils se sentent broyés par un système qui se révèle mauvais alors qu’il était admis comme le meilleur. Ils comprennent – comme les dirigeants soviétiques, d’ailleurs – que le temps des super-puissances, dont l’action a été utile dans « le chaos géopolitique » de l’après-guerre, est passé ; qu’il est d’autres vérités que les leurs ; que les responsabilités qu’ils ont si généreusement endossées ne sont pas à leur taille, si grande que soit celle-ci, et doivent être partagées.
Ainsi un monde de pensée sécurisant s’effondre, le phénomène dépassant nettement les erreurs involontaires ou non des individus et des responsables. À la pointe du progrès des sciences et de la technologie, les Américains s’interrogent sur l’aspect moral de leurs actes passés et remettent en cause, par là même, ceux de l’avenir prévisible.
Tel nous semble être le fond sur lequel l’auteur a écrit ses études sur la violence dans les mœurs quotidiennes, sur la guerre froide, sur le conflit du Vietnam, sur la jeunesse des Universités, sur l’attitude politique. Chacune d’elles en est un développement à partir d’un aspect particulier d’un problème d’ensemble.
Ces sujets intéressent au premier chef l’Amérique et les Américains. Mais en raison de la place qu’ils occupent dans le monde, ils concernent finalement tous les pays et tous les hommes, puisque, aussi bien, les mêmes phénomènes se présentent partout, à des échelles et avec des acuités différentes. Cette crise est celle de la démocratie en même temps que celle d’une civilisation tout entière ; au contraire, elle doit permettre de trouver un nouvel art de vivre, de penser et d’être dans un monde qui se transforme vite. À ce titre, les développements du livre d’Arthur M. Schlesinger ont une portée universelle et rejoignent bien des préoccupations exprimées dans d’autres ouvrages, parus dans tous les pays. ♦