L’épopéee kamikaze
L’image des kamikase, telle qu’elle se dégage de ce beau livre, est fort différente de celle que la légende a dessinée ; différente et plus belle, parce que plus humaine. La conjonction d’un état d’esprit impliquant une haute conception du devoir et de la situation de plus en plus grave dans laquelle se trouvait le Japon dans les derniers mois de 1944 a conduit des milliers d’hommes, en immense majorité très jeunes, au sacrifice suprême, accepté non pas dans l’émotion du combat, mais préparé, prémédité ; accompli non pas individuellement mais dans une entreprise collective planifiée.
Ces hommes n’étaient pas des désespérés qui cherchent dans la mort un remède à leur désespoir, mais étaient des combattants clairement conscients de l’enjeu pour lequel ils se dévouaient, croyant que leur mort assurerait la victoire à leur pays, ou lui permettrait au moins de terminer la guerre honorablement. Indiscutables héros malgré les faiblesses qu’ils pouvaient avoir comme tous les hommes, les kamikase des trois armées ont vu, dans leurs méthodes d’attaque-suicide, une tactique raisonnable, la seule qui pût à ce moment obtenir un résultat tangible. Le commandement nippon a utilisé cette tactique dans le cadre de sa stratégie. L’élan patriotique, l’acceptation enthousiaste du sacrifice, l’absolue discipline étaient des traits du caractère japonais ; ils ont été exploités sciemment, objectivement. C’est cette exploitation qui est véritablement le trait distinctif des kamikase, et non le conditionnement psychologique initial.
Bernard Millot le démontre d’une façon qui semble absolument convaincante, en racontant l’histoire de l’épopée kamikase et en l’accompagnant de commentaires sur la civilisation japonaise et la psychologie qu’elle fait naître, si mal connues chez nous. Il nous permet de juger des choses, non pas selon nos normes, mais selon celles d’un monde qui, bien proche de nous pourtant, nous est étranger.
Le Japon aurait-il pu vaincre si la tactique kamikase avait été employée plus tôt et sur une plus grande échelle ? C’est une question qui peut être posée, même si la réponse n’en est pas évidente. Mais sans nous hasarder à faire un pronostic fallacieux sur ce qui aurait pu être, il nous paraît plus utile d’appeler l’attention sur un point que l’auteur ne souligne d’ailleurs pas. Les Américains qui ont subi les attaques des kamikase devaient se trouver moralement justifiés d’employer la bombe atomique. L’affirmation peut surprendre et choquer. La lecture de ce livre est de nature à la faire comprendre : les pertes subies par les forces américaines au cours des campagnes des Philippines et surtout d’Okinawa annonçaient des pertes bien plus fortes si la guerre avait continué par des débarquements de vive force sur le territoire japonais, défendu avec le fanatisme et le courage, à la fois exaltés et froids, dont ont fait preuve les kamikase.
Ce livre nous paraît être un des meilleurs témoignages sur les aspects psychologiques de la guerre. ♦