Corregidor, la forteresse perdue et reconquise
Corregidor, petite île allongée sur sept kilomètres à l’entrée du golfe de Manille, méritait-elle les efforts extraordinaires que les Américains et les Japonais mirent successivement à la défendre et à l’attaquer ? Les arguments positifs ne paraissent guère concluants ; en 1942, l’épopée de Corregidor fait songer à celle de Dien Bien Phu, douze ans plus tard : même position minuscule et hors d’atteinte de tout renfort utile, même attitude des adversaires, même défense sans espoir sous un déluge d’obus et de bombes ; en 1945, dans une situation inversée, les Japonais s’obstinent, alors que le sort de la guerre est scellé, à entraîner le plus d’ennemis possible dans la mort qu’ils ont acceptée comme le seul terme digne de leur dévouement à l’Empereur.
Quoi qu’il en soit, le récit des frères Belote présente un diptyque dont chacun des éléments décrit, avec une très grande minutie, les deux combats, semblables dans leurs péripéties et leur rythme, malgré la différence des moyens mis en œuvre. Il débute assez lentement et presque lourdement par l’exposé détaillé de la défense américaine et l’énumération de toutes les armes dont disposait la forteresse. Puis il s’anime lorsque le combat commence, certaines pages pourraient figurer dans une anthologie de l’horreur et de l’acharnement des batailles. Les faits sont notés un par un, situant des combattants individuels, de petites unités ou l’ensemble de la garnison dans la lutte ; les noms sont cités ; les faits d’armes rapportés ; les rares défaillances et les fautes soulignées. Et pourtant le lecteur ne perd pas de vue la physionomie générale du combat, d’ailleurs simple dans son principe, puisque, dans les deux cas, il s’agissait pour les uns d’écraser les défenseurs, et pour les autres de résister au mieux sous le déluge de feu.
Ces deux exemples d’action retardatrice sur place font cependant apparaître nettement la différence des mentalités entre les combattants, Américains tirant d’une situation désespérée une conclusion douloureuse mais logique – celle d’arrêter le combat lorsqu’il devient de toute évidence inutile. Japonais fanatisés et refusant d’admettre la défaite. Les exemples cités dans cet ouvrage sont innombrables et puissamment évocateurs.
Les auteurs ont surtout utilisé les sources américaines, les documents japonais faisant défaut et le nombre des rescapés nippons étant infime. Il en résulte un inévitable déséquilibre dans le récit, au cours duquel le lecteur voit peu le commandement japonais prendre ses décisions.
Il est regrettable que la traduction de ce beau livre soit trop proche du « mot à mot » et que certains termes courants du vocabulaire militaire ne soient pas traduits par leur équivalent français. Le style apparemment très américain des auteurs aurait gagné à faire l’objet d’une transcription, plutôt que d’une traduction scrupuleuse qui alourdit le récit. ♦