Le général Boulanger
Clemenceau a heureusement d’autres titres de gloire que d’avoir écrit la célèbre épitaphe : « Ci-gît le Général Boulanger, qui mourut comme il vécut : en sous-lieutenant ». Mme Pisani-Ferry la cite cependant à la dernière ligne d’un ouvrage dans lequel elle raconte avec beaucoup de vivacité et d’entrain l’histoire du boulangisme et de son chef. On ne pouvait guère attendre de la petite-nièce de Jules Ferry qu’elle traçât du « brave Général » un portrait flatteur : le héros des années 1885-1889 est d’ailleurs difficile à défendre. Mais on peut aussi juger sévèrement l’attitude des hommes politiques que sa prestance et sa popularité affolaient ; s’il n’était que du vent, ils auraient pu garder plus de calme dans la tempête… On peut aussi se demander, bien qu’il soit vain de vouloir refaire l’histoire, ce qu’il serait advenu si Boulanger avait pris le pouvoir et comment son caractère aurait évolué au contact des responsabilités suprêmes ; l’histoire offre tant d’exemples de chefs qui se révèlent dans la haute fonction à laquelle ils sont appelés qu’il reste permis de penser à une rapide mutation du personnage.
Contrairement à beaucoup, le général Boulanger a montré en quelques années l’endroit et l’envers de son personnage. Il a suscité une véritable passion qu’il a vite déçue ; la déception se pardonne moins que la défaite. Mais, digne ou non de le faire, il a incarné un instant la foi du pays en lui-même et en ses destinées, la vitalité d’un peuple humilié et son désir d’effacer son humiliation. C’était, à tout prendre, une belle destinée, que d’autres ont su remplir après qu’il l’eût abandonnée par insuffisance et par amour. Au-delà de sa personne, l’épisode auquel il a laissé son nom, est, dégagé de tous ses dessous politiques, une contestation de la défaite.
Mais ce n’est qu’un épisode de notre histoire nationale, dont les échos ne se répercutent plus que dans les souvenirs des gens âgés ; il est peu probable que les jeunes y trouvent encore quelque intérêt, en dehors des historiens.