Le mouvement syndical de la Libération aux événements mai-juin 1968
« De 1945 à 1968, le syndicalisme n’a guère fait qu’osciller entre la suffisance et la faiblesse ». Voilà une phrase sévère qui résume l’essentiel de la thèse de l’auteur ; celle-ci cependant est beaucoup plus riche que ne le laisseraient supposer ces quelques mots ; elle apporte, tout au long de son développement, des nuances qui en atténue la rigueur.
Georges Lefranc est trop connu de nos lecteurs pour que nous insistions sur son œuvre, en majeure partie consacrée à l’étude du syndicalisme. Il donne ici une suite à un ouvrage précédent qui traitait du mouvement syndical sous la Troisième République. La difficulté d’un tel travail est évidente ; les questions étudiées sont d’une actualité immédiate, les archives ne sont pas ouvertes, le recul est court pour porter un jugement. La méthode de l’auteur consiste à faire d’abord une étude historique et événementielle du syndicalisme depuis 1945 ; les faits sont nombreux, enchevêtrés et les grandes lignes en sont difficiles à discerner. Puis, dans un chapitre d’une grande clarté d’exposition, Georges Lefranc dégage celles-ci. Le syndicalisme français tend de plus en plus à se diviser. Il ne groupe qu’une relativement faible proportion des effectifs « syndicables », de l’ordre de 20 à 25 % si l’on se réfère aux chiffres peu précis dont on dispose ; mais, suivant les différents secteurs économiques, cette proportion est très variable. Les grandes centrales syndicales regroupent cependant la majeure partie des effectifs syndiqués ; à ce titre, elles sont représentatives. Divergeant dans leur jugement sur la planification, elles sont toutes opposées à l’association capital-travail, à « l’intéressement » dont il a été si souvent question au cours des derniers mois.
Mais la véritable question du syndicalisme se situe sans doute à un autre plan. L’action et les réalisations sociales du gouvernement modifient les structures du monde du travail et satisfont à nombre de ses exigences. Le travailleur est donc moins attiré par le syndicalisme qu’il ne l’était autrefois. Celui-ci devrait, en conséquence, trouver le champ nouveau de son activité, trop longtemps étendu dans le domaine social qui se confond fatalement avec le domaine politique. L’occupation de certaines centrales syndicales par des syndiqués a bien montré récemment que, pour nombre de travailleurs, le syndicat devenait une sorte de « patron » et n’était plus l’organisme de défense de ses intérêts. Le syndicalisme a besoin d’un statut moderne, puisqu’il n’est plus adapté à la réalité de la situation. Les événements de mai 1968 vont-ils, ou non, en faciliter l’établissement ?
Georges Lefranc ne donne pas de réponse à cette question. Mais il était important qu’elle fût posée au terme d’un ouvrage dont il est facile de comprendre l’actualité et l’intérêt. ♦