Japon, troisième Grand
La description de l’extraordinaire redressement économique du Japon depuis la fin de la dernière guerre mondiale est toujours d’un intérêt passionnant ; celle que fait Robert Guillain ne manque pas à la règle ; elle est à la fois abondante, fournie de faits et illustrée de chiffres sur lesquels nous ne reviendrons pas ici. Les lecteurs qui cherchent sur ce point une documentation à jour seront amplement satisfaits, car ils la trouveront sous une forme aisément accessible, très éloignée de celle des études généralement austères qu’inspire la matière.
Mais nous nous attarderons sur ce qui fait la thèse de ce livre. L’auteur entend y démontrer qu’au-delà de l’ardeur au travail bien connue des Japonais, la raison de la réussite actuelle du Japon – dont on ne voit pas pourquoi elle ne se poursuivrait pas longtemps encore – est que le gouvernement a choisi de ne plus s’armer militairement et de consacrer par suite tous ses efforts à l’économie ; une force militaire de moins de 240 000 hommes, imposée ou presque par les Américains, un système d’armement traditionnel et presque désuet, une absence totale de toute ambition nucléaire et même une volonté arrêtée de ne pas fabriquer de bombes atomiques et de vecteurs, forment, au milieu d’un monde dominé par les États-Unis, l’URSS et la Chine, des conditions exceptionnelles. En choisissant l’économie, le Japon n’a pas renoncé à la lutte ; mais c’est une lutte pacifique qu’il entend dorénavant mener pour le plus grand bien de son peuple et de la paix du monde.
La situation présente semble donner raison à cette thèse. Cependant, un doute, que l’auteur émet lui-même pour le rejeter, vient à l’esprit de tous : cette méfiance de toute remilitarisation est-elle une ruse ou un moyen pour posséder un jour, grâce à la puissance économique, la puissance du monde de demain, qui ne reposera sans doute plus uniquement sur les armes ? On peut ajouter aussi qu’un tel calcul, s’il est véritablement celui des dirigeants japonais, n’est pas sans danger. Cette économie florissante est particulièrement exposée à toutes les attaques ; protégé par les États-Unis, par l’URSS ou par la Chine, suivant l’évolution des relations internationales futures, le Japon ne fait-il pas un pari audacieux en jouant sur l’actuel équilibre de la terreur ?
Aucune réponse ne peut évidemment être donnée à une telle question. Robert Guillain a foi dans l’avenir pacifique du Japon ; un lecteur peut avoir une opinion différente et craindre qu’un jour cette considérable puissance ne se révèle un instrument d’intervention dans les affaires internationales. Mais tout livre qui appelle la discussion est un « bon » livre. ♦