Le dossier de l’Armée française
Le but de l’auteur était, en racontant l’histoire de notre armée de 1914 à 1962, pendant un demi-siècle, d’expliquer les motifs profonds de ses réactions au moment où s’achevait la guerre d’Algérie. En 1914, l’armée et le pays faisaient corps, dans une unité de sentiments et de volonté qui a rarement été atteinte à ce point au cours de notre histoire : en 1962, ils étaient séparés, physiquement et moralement, ne se comprenaient plus et se dressaient parfois l’un contre l’autre dans des affrontements passionnés et sanglants.
Jean Feller, tout en s’efforçant de rester objectif, expose les conditions dans lesquelles les gouvernements successifs ont placé cette armée, en partie paralysée par ses traditions, ses règles de vie, son éthique, et d’autre part mise au contact des réalités écrasantes de la défaite de 1940 et des amertumes des guerres d’Indochine et d’Algérie. Trop longtemps oubliée ou suspectée, l’armée a généreusement continué sou rêve de grandeur et de sacrifice dans un monde qui changeait. Elle a voulu maintenir son prestige et l’idée qu’elle se faisait du pays qu’elle servait, sans qu’il voulût comprendre ses besoins et ses aspirations ; d’où une longue crise qui a failli se terminer en drame, par la révolte de l’armée contre l’État.
Le livre est un plaidoyer pour l’armée incomprise, acculée à des gestes et des actes auxquels elle se livrait parce qu’elle pensait être la détentrice réelle des intérêts du pays, méconnus par ceux qui en avaient légalement la charge.
Mais ce trop bref résumé risquerait de faire croire à une œuvre partisane. Si la sympathie de l’auteur est acquise à l’armée dont il a voulu comprendre les motifs, il n’en reste pas moins que l’ensemble du livre offre un tableau fort clair d’une histoire récente et pourtant longue. De très nombreuses citations, extraites des principaux ouvrages parus depuis cinquante ans sur l’armée et sa position dans la nation, fournissent à Jean Feller une riche substance pour illustrer et étayer ses opinions, qu’elles éclairent souvent de couleurs vives.
Ce « dossier » n’est pas « à classer ». Tout au contraire : il est de pleine actualité au moment où l’armée, qui a enfin cessé de faire la guerre, tente à la fois de se retrouver elle-même, de redevenir un outil de combat adapté aux conditions du combat moderne, et de se réintégrer dans le pays qu’elle doit servir.