Les maîtres du IIIe Reich
Il ne s’agissait pas seulement pour l’auteur de faire une suite de portraits de ceux qui se sont trouvés au premier rang de l’Allemagne nazie et lui ont imposé leur loi en même temps qu’à une grande partie de l’Europe. Joachim C. Fest a voulu replacer ces hommes dans leur milieu et expliquer pourquoi ils ont réussi à le dominer. Peut-être la méthode adoptée ne convient-elle pas exactement à ce dessein ; en effet, la succession des tableaux où nous voyons apparaître successivement Hitler, Gœring, Gœbbels, Heydrich, Bormann, Rohm et plusieurs autres, a quelque chose de systématique et d’analytique à la fois qui répond mal, semble-t-il, à une explication d’ensemble. Celle-ci est fournie dans un dernier chapitre, comme une conclusion, en quelque sorte, de toutes les études individuellement consacrées aux maîtres du IIIe Reich.
Toute dictature, expose l’auteur, se trace le portrait idéal d’un homme nouveau. Le « surhomme » nazi, aux cheveux blonds, au teint clair, à la haute stature, à la volonté de fer, à l’énergie indomptable, est assez connu pour qu’il ne soit pas nécessaire de le décrire davantage. Or aucun des dirigeants – à part Heydrich – ne répondait à ce type. Ces hommes étaient dans leur ensemble des aigris, des déçus, des agités qui cherchaient dans le mouvement nazi une compensation à leurs complexes en même temps qu’une sorte d’effervescence permanente qui les élevait au-dessus d’eux-mêmes. Ils n’avaient individuellement aucun but, aucun idéal propre ; ils avaient besoin d’une organisation qui les soutenait, et davantage encore d’un homme qui les guidait. Cet homme était Hitler, auquel ils se soumettaient avec la même joie qu’ils avaient à dominer et à piétiner les autres.
Le monde bourgeois finissant se trouvait en « état de panique » et se sachant inconsciemment condamné, acceptait cette direction impitoyable dans laquelle il trouvait une raison de s’étourdir et de se prolonger par des rêves qui lui montraient un avenir éclatant, extraordinaire. C’est pourquoi le peuple allemand se laissa si facilement et si longtemps abuser.
Le lecteur ne manquera pas sans doute de faire quelques réserves sur cette explication et la jugera vraisemblablement à la fois trop générale et trop sommaire. Mais il trouvera dans ce livre grave, qui ne fait pratiquement aucune place à l’anecdote, et dont la division en chapitres assez courts facilite heureusement la lecture, une peinture de l’Allemagne nazie en même temps qu’une abondante source de réflexions sur la fragilité d’une société en cours de transformation profonde, qui peut se trouver exposée à une « capture » telle que celle que l’Allemagne a subie du fait d’une poignée d’hommes au demeurant médiocres. ♦