La chasse aux savants allemands (1944-1960)
Lorsqu’on évoque le partage du butin après une victoire, on pense surtout aux biens matériels, mais peu à l’intelligence humaine qui a permis de les créer. Les savants allemands qui avaient poursuivi, avant et pendant le régime nazi, les recherches fondamentales et les expériences pratiques qui devaient fournir un arsenal d’armes nouvelles aux forces du Reich, représentaient un potentiel de la plus haute importance. Il fallait d’abord, pendant la guerre, les neutraliser et les empêcher de produire leurs inventions ; puis, lorsque les hostilités prirent fin, il devenait nécessaire de s’approprier, non seulement les résultats de leurs travaux, mais encore leurs personnes et leurs capacités intellectuelles, pour empêcher l’Allemagne de retrouver sa puissance abattue, mais plus encore pour apporter aux Nations anciennement alliées un indispensable ferment de découvertes nouvelles.
Tous les pays vainqueurs se livrèrent donc au renseignement et à la destruction des installations allemandes pendant les hostilités, puis à « la chasse » aux savants dont les études avaient failli donner la victoire à l’Allemagne, chasse sans merci, menée « chacun pour soi » sans se soucier de solidarité et en utilisant au besoin tous les coups bas. On sait comment la présence des savants allemands dans les laboratoires américains et russes en particulier, permit les progrès incroyables accomplis dans le domaine des fusées, et fut à l’origine de la compétition entre les États-Unis et l’URSS dans la conquête spatiale à laquelle nous assistons actuellement.
C’est cette histoire mouvementée, pittoresque, cynique, que l’auteur raconte avec une verve qui retient le lecteur. Celui-ci est tout autant surpris par le sujet qui est traité ici dans son ensemble pour la première fois sans doute, qu’attiré par des aventures vraies qu’il croirait réservées au roman le plus imaginatif. Lecture intéressante, amusante, lourde aussi de constatations sur la façon implacable dont se mène cette rivalité internationale à propos de la science, préalable impératif à la puissance.
Mais une autre question de haute portée morale est soulevée dans ces pages, qui abondent d’anecdotes derrière lesquelles se profilent des données constantes. Un savant a-t-il le droit, lorsqu’il découvre un secret de la nature, de l’annoncer et de le transformer en une application qui engendrera la destruction, la souffrance et la mort ? En d’autres termes, la recherche scientifique peut-elle ou non faire état de considérations morales ? La réponse de l’auteur transparaît facilement dans ce livre : les savants sont des hommes, passionnés de leurs connaissances, cherchant à en accroître le champ, grisés par leurs découvertes ; mais ils sont également sensibles à la gloire de celles-ci, auxquelles ils attachent leurs noms. Il est peu vraisemblable, dans ces conditions, qu’ils se préoccupent de morale, d’autant qu’ils ne peuvent pas toujours soupçonner, au moment de la découverte, quelles en seront les conséquences lointaines.
Aussi ce livre porte-t-il une leçon philosophique qui n’est certes pas inattendue, mais qui est cependant décevante : les plus grands savants et ceux qui les emploient ne sont finalement que des hommes… ♦