Pizarre et ses frères, conquérants de l’empire des Incas
L’épopée des conquistadores stupéfiera longtemps les hommes. Qu’une poignée de soldats, d’aventuriers, de prêtres aient pu s’emparer en quelques semaines d’empires immenses, cela tient du miracle ; qu’ils aient, avec les faibles moyens dont ils disposaient, franchi les océans, les marécages, les hautes montagnes, affronté des climats difficiles, fait œuvre de soldats, d’administrateurs, de politiques, au point de poser les fondements d’une nouvelle civilisation et de nouveaux États, cela sort tellement de l’habituel qu’il faut faire un véritable effort pour y croire.
Siegfried Huber raconte simplement et fort clairement une des plus extraordinaires de ces épopées. Il s’efforce de combattre une légende qui s’est rapidement formée et qui a la vie dure : celle de la cruauté systématique des Espagnols, s’acharnant à détruire par le fer et par le feu toute résistance et tout vestige de la civilisation inca. Loin de faire de ses héros de doux agneaux bêlants, mais refusant d’en faire aussi des hommes dépourvus de toute conscience et seulement poussés par l’appât du gain, il trace d’eux un portrait vraisemblable, dans lequel se mélangent des traits de caractère différents, prenant le pas l’un sur l’autre, alternativement, suivant les circonstances du moment : « personnages dont les uns étaient bons, les autres méchants, et dont certains semblaient capables à la fois de bien et de mal, hommes et femmes d’une grande force et d’une grande intrépidité », comme l’écrit l’auteur dans sa préface. Dans son épilogue, il revient sur cette idée qu’il s’est faite de ses personnages : « Les Pizarre furent une race de tempête, de soleil brûlant et de terre dure »… « Les Pizarre et leurs compagnons osèrent vivre une vie audacieuse, sans limites »… « L’or les avait attirés mais leur passion, c’était le pays ». Gonzalo, qui n’avait pas de culture, le dit à l’évêque Berlanga : « C’est notre pays ; nous l’avons gagné ».
En définitive, ce livre est un hymne à la puissance de l’homme, soulevé par son idéal au-dessus de toutes les contingences et de toutes les astreintes coutumières. Mais non de l’homme d’un extraordinaire génie, auquel la nature semble avoir donné des dons surprenants. Pizarre, bâtard dont l’éducation n’a pas été faite, s’est formé lui-même au cours de longues années obscures. Il avait cinquante ans lorsqu’il a pris son essor pour s’imposer comme une figure de proue dans l’histoire du Nouveau Monde. Son épopée a été l’aboutissement d’une volonté tendue pendant toute une vie. Toute miraculeuse qu’elle paraisse, elle n’est pas due à un miracle. Ainsi, ce qui semble surhumain reste dans le domaine de l’humain. C’est la grande leçon, nous semble-t-il, qu’il convient de tirer de ce livre. ♦