La nouvelle guerre froide : Moscou contre Pékin
« Il devrait être clair maintenant que rien, hormis le départ de Khrouchtchev par la mort, la retraite ou la déposition, ne peut amener de réconciliation. Il devrait être également clair que, même si Khrouchtchev s’en allait et que les Chinois décidassent de considérer qu’il ne subsiste après son départ aucun obstacle à une réconciliation complète et qu’ils eussent des gestes d’apaisement envers son successeur, la cause essentielle du conflit demeurerait. Entre l’Union soviétique et la Chine, il existe un conflit évident de puissance et de prestige, comme entre les deux grandes puissances mitoyennes dont la puissance respective s’accroît sans cesse. »
Nous pourrions continuer cette longue citation, car elle donne le résumé et la conclusion de ce livre très documenté sur les rapports entre Russes et Chinois au cours de ces dernières années. L’auteur en fait le récit, avec tous les incidents complexes dont ces rapports ont été marqués, sans pouvoir toujours en donner – comme il le reconnaît – une version certaine, tant cette lutte entre les dirigeants chinois et russes resta longtemps secrète.
Ces détails, s’ils éclairent fréquemment pour le lecteur le comportement des puissances communistes et des partis inféodés dans les événements récents, importent finalement assez peu. Pour l’auteur, les causes profondes du désaccord et de la rupture russo-chinoise proviennent de données plus profondes que ne le sont celles de la vie quotidienne du parti ou des rivalités entre hommes. Elles résident dans le fait que la Chine atteint sa majorité de grande puissance, bien qu’elle ait encore besoin de l’aide soviétique : sa population se développe à un rythme beaucoup plus rapide que la population russe et dispose de beaucoup moins d’espace. Les Russes sont des blancs, les Chinois des hommes de couleur, et le facteur racial ne doit pas être minimisé. Toutes ces conditions font finalement passer au second plan l’appartenance à une même doctrine idéologique : avant d’être des chefs de parti, les hommes qui dirigent les deux pays sont d’abord des hommes d’État, soucieux de donner à leur pays et à leur peuple un rang digne de leur étendue et de leur nombre, c’est-à-dire le premier.
Ce livre a été publié dans sa traduction française peu de jours avant la révolution de palais qui a mis fin au pouvoir de Khrouchtchev et l’événement attendu de l’explosion de la première bombe atomique chinoise. Ces deux événements ne donnent que plus d’intérêt à l’ouvrage. ♦