Le piège de Suez
Le récit des événements de « ce jour-là », le 5 novembre 1956, ne couvre que quelques pages de ce livre qui retrace l’affaire de Suez depuis ses origines jusqu’à sa conclusion, avec une minutie dans les détails qui n’exclut nullement la clarté. On aimera certainement retrouver, groupés dans une même étude, les aspects multiples d’une crise qui ne reste dans la mémoire que par ses gros plans et sur laquelle l’opinion peut être encore divisée.
Les conclusions d’Henri Azeau, réunies dans un « bilan » final, tiennent évidemment compte du recul des quelques années écoulées depuis l’événement.
Tout le monde est satisfait, au moment où les combats prennent fin, ou fait mine de l’être : c’est une guerre où il n’y a pas eu de vaincus… à entendre les protagonistes, en Égypte, à Moscou, à Washington, à Londres, à Tel Aviv et à Paris. En fait, l’Égypte gagne sûrement le contrôle du canal, un prestige incontestable auprès des peuples afro-asiatiques, en échange de quelques doutes sur la solidité réelle de ses forces armées. Israël, au contraire, a magistralement démontré la valeur de ses soldats, et acquis une sécurité plus théorique que réelle sur sa frontière méridionale ; mais il s’est désigné près de ses voisins comme l’agent de l’impérialisme franco-britannique. En France, le bilan semble lourdement négatif : séquestre des biens privés français en Égypte (avec ses corollaires d’expulsion des personnes) qui porte sur 4 milliards de francs actuels, rupture des contrats industriels en cours ou en projet, arrêt des relations culturelles, notamment de l’enseignement français aux soixante mille élèves de nos établissements d’instruction en Égypte. À Londres, les pertes sont également considérables, mais la Grande-Bretagne renouera les relations avec l’Égypte plus tôt que la France, engagée dans la guerre d’Algérie où Nasser est dans le camp algérien.
Mais – ce qui est plus grave – un coup très sensible a été porté à l’Alliance atlantique ; il en naîtra en France un antiaméricanisme qui se développera plus tard. Les Russes ne profiteront guère, dans le Moyen Orient, de leur intervention au profit de l’Égypte. Les « seuls vainqueurs réels sont les États-Unis d’Amérique », parce qu’ils ont atteint leurs trois objectifs au Moyen Orient : « maintenir leur infrastructure stratégique, assurer la protection de leurs intérêts pétroliers, et soutenir, en l’encadrant et le contenant, le vaste mouvement de décolonisation qui emporte l’ensemble des pays sous-développés encore sous l’influence des anciennes puissances coloniales ».
Ces conclusions paraissent raisonnables. Mais l’affaire de Suez n’est qu’un acte dans la politique internationale et ses effets ne sont que temporaires. ♦