Un monde possible
Le plan de cet ouvrage assez court est déconcertant. Partant d’une étude sur les rapports entre la Chine et l’Inde, l’auteur aboutit à la formulation d’une politique qui rendrait le monde « possible », sans toutefois permettre de réaliser « un ordre international parfait ». Il faut une certaine bonne volonté pour admettre que le raisonnement se développe rigoureusement du début à la fin du livre. Celui-ci, en fait, est formé de divers développements, plus ou moins arbitrairement reliés, mais l’intelligence et la facilité de l’auteur donnent le change, et le lecteur arrive facilement à la dernière page après avoir suivi avec plaisir son guide.
Les arguments sont d’ordre économique essentiellement. Il est curieux qu’il ne soit pas fait une plus large part au problème humain. Tibor Mende est indiscutablement un des écrivains et des penseurs qui se sont penchés avec le plus de clairvoyance et d’intérêt sur les questions du Tiers-Monde. Aussi, sait-il certainement qu’il existe dans les pays sous-développés des hommes qui raisonnent de façon très différente de celle qu’emploient les habitants des pays développés. Le sous-développement n’est pas seulement une insuffisance de productions diversifiées, d’industrialisation, d’instruction, mais c’est aussi – et on serait tenté d’écrire « d’abord » – une conception de la vie, ou, si l’on préfère, une acceptation de conditions données et une adaptation psychologique à celles-ci. Pourquoi l’aide apportée par les pays riches – ceux du « Nord » de Tibor Mende – aux pays pauvres – ceux du « Sud » – n’a-t-elle pas toujours le rendement que l’on pourrait en escompter ? Davantage certainement parce que cette aide n’est pas reçue dans les termes mêmes où elle est donnée. Certes, l’élévation du niveau de vie matérielle est toujours appréciée ; mais il faut bien constater que les hommes ont besoin d’autre chose pour s’estimer satisfaits. Il y a longtemps qu’on a dit que « l’homme ne vit pas seulement de pain ».
Aussi, ce livre, que l’on ouvre avec l’espoir d’y trouver une contribution efficace à la solution du problème principal de notre époque, le referme-t-on, avec la déception de n’avoir rien trouvé de vraiment constructif. Même si la conclusion de l’auteur se veut optimiste, cet optimisme repose sur tant de conditions assez aléatoires qu’il équivaut, sinon à un pessimisme, du moins à un grand point d’interrogation. Les grandes Puissances évoluées seront-elles assez sages pour ne pas continuer d’être rivales ? Se contenteront-elles de cet équilibre nucléaire qui, sur le plan militaire, rend une guerre entre elles peu vraisemblable, voire pratiquement impossible ? Renonceront-elles à chercher parmi les nations sous-développées des clients, des fournisseurs de matières premières et d’éventuels auxiliaires dans un conflit mondial ? La réponse à ces questions n’est pas obligatoirement négative ; elle n’est pas non plus sûrement affirmative. Dire qu’il est souhaitable qu’elle soit favorable, est-ce vraiment faire avancer la solution du problème ? ♦