Droits politiques et liberté d’expression des officiers des forces armées
Le sujet choisi par Michel Sénéchal est de ceux qui doivent intéresser au premier chef tous les officiers d’active et de réserve. Il ne semble pas qu’il ait été récemment traité dans son ensemble, et l’ouvrage constitue d’abord un recueil précieux dans lequel les intéressés pourront trouver des renseignements qu’ils ne connaissent peut-être pas toujours sur leur statut considéré du point de vue de leurs droits politiques et de leur liberté d’expression, qu’il s’agisse des données actuelles ou de leur évolution dans le passé.
Mais l’intérêt de cet ouvrage va beaucoup plus loin. L’auteur y développe une thèse. Malgré l’attribution de droits politiques aussi étendus que ceux de tous les citoyens – sous réserve de quelques dispositions motivées par l’état militaire et le maintien de la discipline – l’auteur juge que le système précédent du « cantonnement juridique » est effectivement maintenu. Il s’exprime clairement à ce sujet comme l’indique la citation suivante : « …nous devons admettre que la liberté d’expression des officiers n’est qu’un leurre. Certes, il est possible d’isoler, comme nous l’avons fait, la liberté d’expression “à l’état pur” de la liberté de manifester cette opinion, mais cette distinction n’a qu’une valeur méthodologique ; elle n’a d’intérêt que pour l’efficacité de l’analyse juridique : dans la réalité de la vie sociale, une liberté d’opinion qui n’implique pas de possibilité de libre expression n’est qu’une illusion, un mot vide de sens. Or – et c’est ici que la différence est fondamentale avec le reste de la fonction publique – les officiers, qui jouissent en principe de cette liberté d’expression – n’ont pratiquement aucun moyen d’exprimer leurs idées en toute indépendance ».
C’est, croyons-nous, la phrase-clé de l’ouvrage. En effet, l’auteur, après l’avoir écrite, examine « les multiples entraves aux formes individuelles d’expression » et « l’inexistence des moyens collectifs d’expression ».
D’autre part, l’auteur étudie également le régime disciplinaire actuel, pour conclure qu’il laisse à l’arbitraire une trop grande place, sans que les intéressés puissent efficacement avoir recours contre les décisions dont ils sont l’objet. Un tel système restreint encore les droits d’expression des officiers.
Ces problèmes sont de ceux qui se posent au moment où l’armée subit une profonde transformation, où la place de soldat dans l’État doit être définie à la lumière des conditions actuelles de vie.
« Si la dissociation chez le même individu du soldat de métier et du citoyen est considérée comme impossible, écrit Michel Sénéchal, la stérilisation politique de l’officier, partie intégrante du cantonnement juridique de l’armée, s’impose avec toutes ses conséquences, y compris l’absence de l’électorat et de l’éligibilité ; si, au contraire, pareille dissociation s’avère possible, le droit de l’officier, dans une démocratie, d’avoir des opinions politiques, mais également de les exprimer, doit être reconnu dans toute la mesure où cette manifestation n’est pas contraire à l’intérêt général, et sans que le Gouvernement ou le commandement puisse porter atteinte à ce droit par les voies détournées d’un régime disciplinaire faisant place à l’arbitraire ».
Pour l’auteur, c’est la seconde solution qui doit être adoptée « en considération de ce principe fondamental d’organisation de toute société politique ayant atteint un certain degré de développement : la nécessaire subordination de la force armée au pouvoir civil ».
Ces citations nous semblent suffisantes pour souligner l’intérêt de cet ouvrage, dont l’argumentation et l’orientation sans ambiguïté s’appuient sur une documentation solide et sur des références fermes. Ne serait-ce que par les réflexions qu’elle permet de faire, la lecture de ce livre est de toute évidence fructueuse. ♦