L’Islam dans le monde moderne
Il ne manque pas d’ouvrages récents sur l’Islam. Nous en avons fréquemment analysés dans cette Revue, notamment ceux de Pierre Rondot, de Jean-Claude Frœlich, de Vincent Monteil. Pour le lecteur français, le premier intérêt de cet ouvrage est la nationalité de l’auteur : un anglais, professeur à l’Université McGill de Montréal.
Le tableau présenté par Wilfried C. Smith est incomplet. Il passe en effet pratiquement sous silence les importants groupes islamiques de l’URSS, de la Chine, de l’Indonésie et de l’Afrique noire. Par contre, il insiste sur les Arabes, les Turcs, les Pakistanais et les Musulmans de l’Inde. L’auteur est conscient de cette vue partielle de l’Islam moderne et s’en excuse longuement dans son livre. Il n’en reste pas moins que les chapitres qui traitent des sociétés musulmanes énumérées plus haut sont d’un haut intérêt.
Mais on retiendra peut-être davantage le premier chapitre du livre, dans lequel l’auteur expose son intention et fait une solide esquisse de l’Islam dans l’histoire. Chapitre général où les réflexions les plus profondes s’appuient sur des données qui, ramenées à des simplifications qui sont presque des schémas, prennent une force singulière.
Le but de cet ouvrage, dit l’auteur, n’est pas de prédire le développement prochain ou lointain de l’Islam, mais de définir un moment de son histoire et de souligner ses potentialités : « L’Islam, écrit Wilfried C. Smith, vit aujourd’hui ce moment critique et créateur au cours duquel l’héritage de son passé se trouve transformé en signes annonciateurs de l’avenir ». Indiquer ces « signes annonciateurs », mais sans jouer pour autant au prophète, voilà l’objet du livre.
L’Islam est une religion qui considère que Dieu a créé le monde, et dans le monde, soumis à des lois immuables, l’homme est libre de choisir entre le bien et le mal. D’où une première opposition entre le monde matériel et l’homme, le premier déterminé par des règles fixées de toute éternité par Dieu, le second faisant lui-même son destin. Adam fut le premier prophète. Abraham proclama l’unicité de Dieu. Moïse fit connaître les lois de Dieu à un peuple privilégié. Jésus étendit à tous les hommes ce qui avait été le privilège d’un seul peuple. Mais après chacun de ces prophètes, les hommes oublièrent les leçons et ne reçurent pas les indications de Dieu sur le choix qu’ils devaient faire. Alors parut Mahomet, et enfin un groupe d’hommes de plus en plus nombreux connut la voie véritable, et fit de la religion la règle de conduite totale, tant dans les affaires spirituelles que dans les affaires temporelles.
Les Musulmans considèrent donc qu’ils font l’histoire, non pour elle-même, mais pour mieux s’accomplir dans le dessein de Dieu, au sein d’une religion où la croyance individuelle ne peut se comprendre que dans la croyance collective. À l’inverse, les Hindous ne croient pas à l’histoire et ne s’en occupent pas. Les Chrétiens estiment que l’histoire est importante, mais nullement décisive, chaque homme recherchant lui-même son salut. Et pour les Marxistes, l’histoire est tout, avec ses règles déterminées qui fixent le comportement des Nations et des individus.
« Dans son essence, dit l’auteur, l’histoire islamique est donc l’accomplissement, sous la conduite divine, des intentions de l’histoire humaine. »
C’est sur ce fond philosophique que repose l’étude de Wilfried C. Smith, qui abonde en vues générales et en remarques profondes, et qui aboutit à une suite d’interrogations : comment va se fixer la croyance musulmane dans le monde moderne, et comment y évoluera-t-elle ? La séparation se fera-t-elle entre le spirituel et le temporel, dans des nations démocratiques ? Les relations entre les musulmans et les non-musulmans, à l’intérieur d’une même nation ou sur le plan international, s’orienteront-elles vers une plus grande compréhension réciproque, et quelle sera dans ce rapprochement, la part des Musulmans ?
On voit que ce livre dépasse en intérêt celui d’un simple tableau partiel de l’Islam dans le monde d’aujourd’hui. ♦