L’Afrique Noire française et son destin
Plusieurs thèmes s’entrecroisent, dans ce livre aussi court que dense : le destin commun de la France et des colonies qu’elle avait en Afrique noire aurait pu être tout différent de celui qu’il a été ; les administrateurs – ceux qui vivaient en poste dans la brousse – aimaient l’Afrique et étaient autant et davantage les représentants et les protecteurs des habitants de leur cercle contre les tendances unificatrices et simplificatrices des hauts échelons de l’administration, que les délégués de ceux-ci auprès de ces populations ; l’occupation coloniale des territoires africains s’est faite à une époque où les sciences de l’homme étaient encore à l’état embryonnaire, mais elle a justement permis aux savants et aux chercheurs de découvrir en Afrique des civilisations et de leur donner des lettres de noblesse ; aussi serait-il paradoxal de reprocher à ceux qui sont allés les premiers en brousse de n’avoir pas tenu compte de ce que seule leur présence a permis de découvrir ; les intellectuels africains formés dans nos écoles – et particulièrement à l’École normale William Merlaud-Ponty –, ont été tour à tour d’excellents français, puis des nationalistes passionnés, sans cesser d’être les amis de ceux qu’ils avaient connus comme professeurs ou administrateurs à l’époque coloniale ; l’évolution s’est faite dans les villes – et plus souvent dans les bidonvilles – et de là, s’est insinuée dans les campagnes, qui ont eu de la peine à la suivre ; les hommes politiques africains du Rassemblement démocratique africain (RDA) ont compris que c’était à Paris qu’ils pouvaient le plus rapidement et le plus sûrement agir pour leur pays, et cette juste compréhension des choses politiques, jointe aux réflexions que pouvaient faire les dirigeants français sur l’inutilité des guerres postcoloniales, a été la cause d’une décolonisation africaine à l’amiable et dans la paix, alors que tant de sang avait coulé en Indochine et en Algérie ; il est remarquable que les États africains se soient constitués dans les limites territoriales des anciennes colonies, et ce fait est dû à l’action des administrateurs coloniaux, qui avaient fait corps avec leurs circonscriptions et leur avaient forgé une âme.
On pourrait continuer l’énumération de ces thèmes. Les exemples que nous venons de citer suffisent sans doute à montrer l’étendue des sujets, ou plutôt la multiplicité des aspects du sujet auquel Robert Delavignette, riche de l’expérience acquise dans les différents échelons d’une carrière coloniale bien remplie, s’est efforcé d’apporter une clarté objective.
L’auteur écrit que l’expérience du broussard était incommunicable. On craint aussi qu’une substance aussi riche et aussi nuancée que celle dont est fait ce livre soit difficilement assimilable par des lecteurs qui n’auraient pas vécu aux colonies, et participé à cette expérience. Du moins, peut-on souhaiter que des esprits, en quête de vérité, lisent ce livre et cherchent à y trouver, à côté d’une histoire rapide de la décolonisation en Afrique noire française, le témoignage de ce que fut authentiquement la colonisation, lorsqu’elle s’exerçait au contact direct et pour le plus grand bénéfice des populations. ♦