Roosevelt et la Révolution du New Deal
« C’est, en somme peut-être surtout pour faire comprendre les États-Unis actuels à la gauche européenne qu’il a entrepris ce livre », écrit François Goguel dans sa Préface, en parlant de l’œuvre et de l’auteur. Celui-ci, fils de l’ancien président de la République italienne, développe en effet une argumentation aussi solide qu’impressionnante pour démontrer que le New Deal a provoqué de tels changements dans la société américaine que le problème social s’y est trouvé – sinon résolu, car quand et comment le sera-t-il ? – du moins considérablement facilité.
L’intérêt de ce livre dépasse de beaucoup celui que pourraient attacher des spécialistes à des structures économiques nouvelles. Celles-ci sont décrites, à la fois dans leur succession chronologique et dans leur nature. Mais l’auteur met l’accent bien davantage sur les conséquences de ces mesures techniques dans les domaines psychologique et politique. Par suite, il est amené à faire, pour les Européens auxquels il s’adresse, un véritable tableau des États-Unis d’aujourd’hui, et de le comparer, en terminant, à celui que brossait Tocqueville, il y a plus de cent ans. Mario Einaudi, partant de ce fait que la Grande Dépression de 1929-1930 « provoqua une transformation profonde de l’esprit des Américains en fournissant l’occasion de réviser les valeurs établies et les priorités sociales », et que cette grave crise « aiguisa le sens du pouvoir et du commandement chez les intellectuels et les tempéraments politiques », insiste sur la remarquable personnalité de Roosevelt (dont la seule philosophie était, suivant ses propres termes, d’être « chrétien et démocrate ; c’est tout ») et sur sa certitude que l’ensemble des électeurs est plus apte à se prononcer sur des problèmes politiques et sociaux qu’un groupe restreint d’individus placés à leur tête. La conjonction d’un désir général de changement et de la volonté d’un grand homme aboutit au New Deal, à l’intérieur duquel les nouvelles idées essayèrent de se transformer dans l’action politique concrète. Il fut marqué par l’intervention nuancée de l’État dans une économie jusqu’alors laissée aux activités de la libre entreprise, intervention qui eut pour effet de permettre une lutte efficace contre les trusts, les lobbies, les holdings, la réalisation de vastes travaux d’intérêt général (dont ceux de la vallée du Tennessee sont les plus célèbres), les accords entre l’État et le patronat en vue de sauvegarder les droits des ouvriers. « Le New Deal fut une révolution continue, qui ne connut aucun reflux tant que Roosevelt vécut », mais qui se prolongea sous les présidences de Truman et d’Eisenhower, malgré une direction moins ferme.
Il serait trop long d’analyser en détail cet épais volume, dont la lecture est austère et parfois assez difficile. Mais il convient de citer quelques phrases d’un chapitre qui est, sur le plan général, le plus intéressant, et qui s’intitule « Le Nouveau Visage de la Société Américaine ; Ombres et Lumières ». Tout d’abord l’affirmation que « la Révolution du New Deal a provoqué une profonde révision de la signification de l’État dans la société américaine ». Ensuite, celle qu’une « redistribution frappante des revenus s’est opérée » à l’intérieur de cette société, diminuant le pourcentage des personnes très riches et très pauvres, et répartissant de façon plus équitable les biens entre les travailleurs. Enfin, une troisième affirmation, suivant laquelle l’intervention de l’État a stimulé l’esprit d’aventure, au lieu de l’éteindre. On lira aussi les conséquences du New Deal sur la question noire, sur l’attitude des Américains vis-à-vis du communisme, et par suite sur l’orientation de la politique extérieure du pays, résolue à empêcher « la destruction des bases du système américain » qui se montraient si favorables au progrès et au mieux-être des masses.
Et la conclusion : l’Amérique a changé. L’Amérique, ce n’est plus seulement des promesses et des principes. C’est aussi une réalité effective, un pays qui vit dans un cadre – mélange d’institutions et de sagesse politique – plus solide qu’une génération auparavant. Telle est la réalisation durable du New Deal. »