Paix avec la Russie
Averell Harriman a été ambassadeur des États-Unis à Moscou, de 1943 à 1946. Il s’est tenu au courant de l’évolution des choses soviétiques, et a fait en URSS plusieurs voyages, dont le dernier en 1959. C’est en grande partie sur les impressions de cette récente visite qu’il se base pour porter un jugement sur les conditions de vie faites au peuple russe par le régime, et sur l’attitude que l’Occident doit observer vis-à-vis de lui.
Il est assez difficile de résumer en quelques lignes ce jugement qui est très nuancé. Le peuple russe est patriote, et tous les succès de la science russe au cours de ces derniers mois ont contribué à développer un sentiment de fierté légitime et d’orgueil national, d’autant plus facilement que le monde extérieur est peu connu et que ce qui en est su est souvent déformé par la propagande. Mais ce sentiment patriotique s’accompagne d’un désir réel de paix, et d’une anxiété véritable devant ce que le peuple russe croit de bonne foi être l’esprit agressif des Nations capitalistes. Les militants communistes sont peu nombreux en comparaison de la population totale – huit millions sur plus de deux cent – et l’auteur se demande si leur foi communiste est réellement vivace et vivante. Mais les dirigeants du parti et de l’État n’ont pas abandonné le messianisme communiste. M. Khrouchtchev, comme autrefois Staline, et plus encore que ce sceptique dominateur, croit à l’expansion inéluctable des idées communistes dans le monde.
Ces dirigeants, notamment depuis la fin du régime stalinien, ont beaucoup fait pour le peuple : le niveau de vie, qui était très bas, s’est élevé, tout en restant inférieur à celui des pays occidentaux ; les réalisations sociales sont effectives (loyers à bas prix, assurances sociales, retraites, stabilité de l’emploi) et donnent un sentiment nouveau de sécurité à une population qui ne l’avait guère ressenti au cours de son histoire. La terreur semble s’être atténuée ; le voyageur n’en trouve plus d’indices, mais constate une forte discipline.
Celle-ci lie la population aux dirigeants, et la soumet à leurs idées. Il est vain d’espérer voir naître des soulèvements contre le régime en URSS, de même que dans les républiques autonomes, de même que chez les satellites. Mais sans doute, une évolution se produit-elle lentement, qui inverse insensiblement les positions. Les dirigeants devront tenir compte, de plus en plus, du désir de paix et d’amélioration des conditions individuelles de vie, qui se dégage du peuple tout entier.
C’est pourquoi, écrit Averell Harriman, les pays occidentaux doivent mettre à profit toute occasion d’entrer en contact avec le peuple russe, pour accélérer l’évolution du « caractère militant du régime communiste ». C’est alors, quand le communiste ne sera plus militant, qu’une coexistence pacifique deviendra possible.
Telle est, brièvement résumée et simplifiée, la thèse de l’auteur. La lecture de ce livre donne l’impression d’un véritable voyage en URSS. Mais elle ne suffira sans doute pas à convaincre le lecteur. En tout cas, c’est une thèse à connaître et un livre à lire. ♦