La fin d’une guerre (Indochine 1944)
Le lecteur lira ce livre, non pas « d’une seule traite », car il est trop épais, mais sans s’interrompre longtemps. Cela sera dû à l’intérêt du sujet, de même qu’à la façon dont il est présenté. Il est en effet, un excellent exemple d’un journalisme historique de haute qualité ; du journalisme, il a le style aisé, le sens de l’anecdote caractéristique, et même, pourrait-on dire, du « suspense » ; de l’histoire, la rigueur de l’exposé, l’abondance des sources, le choix entre celles-ci en fonction d’une thèse.
Les événements qu’il raconte sont trop proches de nous pour qu’il puisse être déjà question d’une véritable objectivité ; pas davantage chez les auteurs, qui ont vécu en Indochine pendant la guerre et en ont visité tous les fronts, que chez les lecteurs, dont la plupart seront sans doute des acteurs du drame, encore pleins de souvenirs vivants. Et peut-être est-il souhaitable que se produise cette confrontation entre des opinions encore si nettement tranchées. Même si on ne partage pas le point de vue des auteurs sur tous les points, il est certain que l’on rendra hommage à l’étendue de leur information et à la façon claire et logique dont ils la présentent ; il peut se révéler des divergences de vues entre le lecteur et les auteurs, sur des points particuliers et sur la thèse générale ; nous ne pensons pas qu’il puisse y avoir opposition.
Des trois parties de l’ouvrage, les deux premières sont étroitement liées ; elles traitent de la fin de la guerre d’Indochine et des rapports étroits entre les événements militaires d’une part, les difficiles pourparlers de Genève, et les prises de position des différents gouvernements qui les menaient, d’autre part. La troisième partie est un tableau du Vietnam, du Cambodge et du Laos, cinq ans après Genève, une sorte de témoignage qui se veut être une preuve, a posteriori, que la solution adoptée le 20 juillet 1954 était la moins mauvaise de celles que l’on pouvait trouver.
Il faut savoir gré aux auteurs de la minutie avec laquelle ils se sont efforcés de faire comprendre les raisons de l’attitude des délégations de Genève ; il n’était pas facile de dénouer le réseau des arrière-pensées politiques de chacune d’elles, inspirées par des considérations de tous ordres, et par les réactions personnelles des délégués. Malgré sa complexité, le tableau est brossé de main de maître, non sans que les préférences des auteurs apparaissent. Il faut leur savoir gré également d’avoir souligné, de façon sobre et émouvante, le drame de conscience des délégués français, et finalement leur réussite dans la mission douloureuse qui leur était fixée par le gouvernement.
Peut-être le lecteur sera-t-il surpris de l’insistance à souligner la gravité de la situation militaire en Indochine, et plus particulièrement au Nord Vietnam, après Dien-Bien-Phu. Sur ce point, les souvenirs personnels des lecteurs seront peut-être différents de l’impression rapportée par les auteurs, bien que ceux-ci se couvrent de l’opinion des plus hautes autorités. Là est le point délicat : il fallait terminer cette guerre mal engagée, difficilement menée ; fallait-il la terminer si vite ? ; et devant un Vietminh victorieux, mais harassé, la France ne pouvait-elle pas faire un effort, avec ses seuls moyens, sans recourir à l’internationalisation du conflit avec ses conséquences dramatiques ? Sans doute, la question restera longtemps de celles qui partageront témoins et historiens. De la réponse qui y fut donnée à l’époque, dépendit toute l’orientation de la conférence de Genève.
Ce livre, qui conclut dans un sens favorable à la politique qui fut alors suivie, ne met pas un terme au débat : mais il y verse un dossier d’une importance et d’une qualité indéniables. ♦