Chines sans murailles
Le Docteur Migot est l’un des rares Occidentaux qui aient eu le privilège de confronter les visages de la Chine d’hier et de celle d’aujourd’hui, de discerner, dans l’immense bouleversement des dix dernières années du passé, les survivances et les réalisations durables, le privilège aussi de déchiffrer le sens du mystérieux sourire derrière lequel un peuple a su cacher ses souffrances millénaires et ses humbles joies.
L’Extrême-Orient, et plus spécialement la Chine, ont été depuis de nombreuses années le domaine privilégié des recherches de l’auteur, d’où ses importants travaux sur la linguistique tibétaine, le bouddhisme, les philosophies, l’histoire et l’archéologie de l’Asie. Le Docteur André Migot a longuement parcouru les pays qui font l’objet de ses études, au cours d’un voyage en Chine de trente mois à partir de décembre 1946, en pleine guerre civile, notamment ; puis lors d’un nouveau voyage, en 1957, ayant séjourné entre-temps en Indochine et participé à des missions aux îles Kerguelen, puis en Antarctique. C’est de son dernier voyage en Chine, effectué dix ans après le premier, qu’il a rapporté le film et le livre Chine sans murailles.
La Chine nouvelle est un monde en pleine transformation. Celui qui l’aborde pour la première fois risque de la juger en fonction d’un sentiment abstrait, plus qu’en fonction de la réalité. Il pourra ainsi tout admirer ou tout critiquer, avec la même bonne foi, car le meilleur y côtoie le médiocre et le pire. Mais celui qui a connu la Chine d’autrefois peut replacer dans leur contexte ses déconcertantes antinomies. Telle donnée digne d’admiration n’est peut-être qu’une survivance du passé, telle réalisation qui semble médiocre représente peut-être un progrès immense par rapport à ce qui existait il y a dix ans.
Il en est de même sur le plan politique. Comment juger de la situation actuelle des Chinois, de leur comportement vis-à-vis du nouveau régime si l’on ignore leurs réactions vis-à-vis de l’ancien ? Seule une connaissance sérieuse de la culture traditionnelle du peuple chinois, de sa mentalité, de son extraordinaire faculté d’adaptation, peut permettre de comprendre comment le peuple chinois, profondément imprégné de culture confucéenne et bouddhique, foncièrement individualiste, peu enclin à sacrifier son bonheur présent à un avenir incertain, a pu se rallier aux doctrines communistes, transformer aussi profondément ses conceptions et son mode de vie.
L’amour que le docteur André Migot porte à la Chine n’est pas un amour aveugle. Il a su voir avec une parfaite objectivité le pays dont il parle, les heureuses réalisations et les tares d’hier et d’aujourd’hui. Il dépeint la réalité avec la fidélité d’une caméra mais aussi avec son cœur, n’oubliant jamais que les richesses d’une civilisation plusieurs fois millénaire sont partout sous-jacentes à cette réalité.
De 1947 à 1957, de Hong Kong aux confins tibétains, de Pékin au far-west chinois, du tombeau de Confucius à la lamaserie de Kumbum, du Temple du Ciel aux sanctuaires de l’art bouddhique, des usines aux fermes collectives, le Docteur André Migot brosse dans son livre un fascinant portrait d’un pays aux mille et un visages. Il s’efforce aussi de poser, parfois même de résoudre, les innombrables problèmes suscités par une révolution qui a transformé le sort de 600 millions d’êtres. ♦