Commando dans la Gironde
Ce livre se lit « comme un roman », ou mieux, comme plusieurs romans, car si le sujet principal en est l’histoire du commando britannique de huit hommes qui, le 12 décembre 1942, vint audacieusement attaquer et couler des navires allemands dans le port de Bordeaux, il est largement complété par les récits des exploits des corsaires, forceurs de blocus et ravitailleurs allemands dont Bordeaux était la principale base sur l’Atlantique.
L’histoire des corsaires allemands au cours de la guerre 1939-1945 est généralement peu connue, de même que celle des tentatives de liaison entre l’Allemagne et le Japon. Dans la première et la troisième partie de son ouvrage, l’amiral Lepotier en brosse une fresque vivante et colorée, passionnante comme tout ce qui concerne les aventures de haute mer. Lorsque l’on sait le résultat de cette guerre si particulière, lorsque l’on comprend quelle charge la destruction de ces corsaires et forceurs de blocus faisait peser sur les marines alliées, on imagine, sans explications superflues, à quel point il était nécessaire de procéder à l’attaque de la base de Bordeaux. Mais quel procédé adopter ?
Le Haut Commandement britannique s’arrêta à une proposition, en apparence insensée, qui lui était soumise par un jeune officier : envoyer à Bordeaux une équipe de quelques hommes qui, conduits en sous-marin à l’embouchure de la Gironde, remonterait le fleuve jusqu’au port en kayak, et poserait des mines au flanc des navires alignés le long des quais. Si l’idée était simple, il s’en fallait que sa préparation et surtout sa réalisation soient aussi faciles ; on imagine facilement les obstacles de tout genre qu’il fallut vaincre. Le résultat fut brillant, mais payé cher ; cinq navires allemands coulèrent, mais sur les huit hommes participant à l’expédition deux seulement revinrent en Angleterre, les six autres ayant été pris et fusillés par les Allemands ou s’étant noyés.
Le lecteur appréciera sans doute l’opposition entre l’immensité du théâtre d’opérations des corsaires et l’exiguïté de celui des commandos, le contraste entre les moyens puissants que nécessitaient chez les belligérants la mise en œuvre et la destruction des premiers, et les moyens dérisoires dont disposaient les hommes qui remontaient la Gironde en kayak. Suivant ses goûts personnels, le lecteur préférera peut-être la partie du livre consacrée aux opérations lointaines ou celle qui décrit minutieusement l’histoire du commando. Mais en fait, ces deux histoires se complètent ; aucune n’est vraiment compréhensible sans l’autre.
L’amiral Lepotier donne une leçon d’histoire. Le lecteur peut, à partir de toutes ces données, se laisser aller à ses réflexions. Puisqu’au cours de la dernière guerre des navires allemands, italiens et japonais purent circuler dans les océans – navires pour la plupart de surface et évidemment « classiques » – quel avenir réservera le sous-marin atomique à la guerre de course ou aux liaisons maritimes intercontinentales ? De 1939 à 1945, cette activité de corsaires et de forceurs de blocus, toute passionnante qu’elle soit, n’a été qu’un « à côté » de la guerre, malgré le courage et les exploits des hommes qui l’ont menée, dans les deux camps d’ailleurs, car si l’on s’intéresse aux aventures du « gibier », il ne faut pas non plus oublier celles du « chasseur ». Mais dans une prochaine guerre, serait-ce encore un « à côté » ? De même, l’action extraordinaire du commando sur Bordeaux reste un épisode de la guerre ; dans l’avenir, la manœuvre des commandos ne sera-t-elle pas plus qu’un ensemble d’épisodes ?
Ainsi, outre le plaisir très vif que donne la lecture du livre de l’amiral Lepotier, le lecteur y trouve des sujets de réflexion sans limite. Ce n’est pas un mince mérite, pour un livre, que de continuer à vivre ainsi dans l’esprit de ses lecteurs, lorsque la dernière page est tournée. ♦