Aujourd’hui l’Afrique
Un livre qu’il est nécessaire de lire, mais dont la lecture, souvent passionnante, parfois lassante, est quelquefois irritante.
Le Docteur Aujoulat a vécu de très longues années en Afrique, dont il connaît les hommes, les paysages et les problèmes. Sous-secrétaire d’État au ministère de la France d’outre-mer, il a pu s’occuper des questions africaines à l’échelon le plus élevé. Catholique, et véritable missionnaire laïc, fondateur du mouvement « Ad Lucem », il est inspiré par ses croyances religieuses et par sa foi. On ne s’étonnera pas que tant de titres conduisent, par leur diversité, à une œuvre complexe où paraissent à la fois le médecin, l’Européen d’outre-mer, l’homme d’État et le croyant.
Nous regretterons – et nous le dirons sincèrement et objectivement – que son livre soit si épais. Un texte plus court, peut-être moins riche de nuances, eut probablement été plus probant ; de toute façon, plus facilement accessible. Après cette remarque, nous nous sentirons plus à l’aise pour dire les mérites d’une œuvre tout entière animée par une haute inspiration et un noble idéal, celui de la charité chrétienne.
Elle se divise en cinq parties. La première est une description de l’Afrique, une description par l’intérieur, par les traits de la psychologie et de la sociologie. La deuxième est un inventaire des apports de la civilisation occidentale en Afrique, des idées nouvelles dans un continent méconnu et trop longtemps considéré comme irrémédiablement arriéré. La troisième est une étude des bouleversements de la civilisation noire au contact des civilisations européennes. La quatrième, de nature plus politique, une analyse de la position africaine à l’heure de Bandœng. La cinquième enfin, un exposé des conditions de l’évangélisation en pays noir.
M. Aujoulat professe pour les Noirs une confiance et une indulgence extrêmes. On serait plus disposé à le suivre dans ses jugements s’il ne faisait pas si souvent apparaître la culpabilité directe ou indirecte, consciente ou inconsciente des Blancs dans les phénomènes qui marquent le monde noir actuel. C’est en cela que plusieurs passages de ce livre sont, comme nous l’écrivons plus haut « irritants ». Tout prêt à inscrire au passif de la colonisation bien des actes dont les conséquences néfastes sont nombreuses, on se prend toutefois à se dire qu’il existe également un actif qui mériterait d’être souligné davantage que le fait l’auteur, et, dans cet actif, cette religion dont l’auteur s’est fait un missionnaire laïc. Est-ce pour donner plus de force à son exposé et à ses arguments que M. Aujoulat a voulu, ou du moins donne l’impression d’avoir voulu insister davantage sur le passif que sur l’actif ? Est-ce par réaction contre le satisfecit que certains Européens s’accordent trop vite et trop volontiers, ou plus encore contre les vestiges de colonialisme indiscutable que l’on peut encore relever chez les Blancs que l’auteur exalte les vertus foncières des Noirs ou excuse leurs défauts ?
Quoi qu’il en soit, la thèse de M. Aujoulat, qui est exacte certainement dans ses principes, paraît parfois outrée.
C’est pourquoi il est nécessaire de lire ce livre. La bonne foi de l’auteur ne pouvant évidemment pas être un seul instant mise en doute, il faut que tous ceux qui s’intéressent aux problèmes africains – et ils sont peut-être la clef, ou du moins l’une des clefs des problèmes mondiaux – se penchent sur les idées et les théories exposées. Un tel livre doit faire naître, sinon la contradiction, tout au moins la réflexion et, dans certaines de ses données, la mise au point. De cette lecture, ils retireront des aperçus nouveaux, qui leur feront réviser certains de leurs jugements trop sommaires ; ils confronteront aussi les idées présentées avec celles que peut leur donner une certaine connaissance de l’Afrique, même si elle est moins approfondie que celle de M. Aujoulat, et ils nuanceront les unes par les autres.
Aujourd’hui l’Afrique – pour reprendre le titre du livre – est un monde formé d’hommes doués de grandes qualités et de graves défauts, qu’il s’agisse des Noirs ou des Blancs qui sont et resteront, par la force des choses dans le siècle actuel leurs interlocuteurs les plus proches. Apprécier ces qualités, connaître ces défauts, considérer les unes et les autres comme les données inévitables de toute condition humaine, et avoir les uns pour les autres une estime et des relations qui s’inspirent davantage du présent que du passé, c’est là, nous semble-t-il, la grande leçon de la charité. Et nous pensons que M. Aujoulat ne désavouerait pas cette conception, à laquelle aboutit au terme de son livre un lecteur de bonne volonté. ♦