Histoire d’une vie. T. IV : La guerre incertaine de la Marne à Verdun
C’est une impression bien curieuse que de se plonger dans les souvenirs de guerre de 1914, d’une guerre qui, au milieu de nos soucis actuels, paraît si lointaine – on ose à peine écrire si désuète ! En lisant le quatrième volume des Mémoires d’Henry Bordeaux, qui couvre le début de cette guerre de 1914 qui, malgré tout, reste la « Grande Guerre », on se trouve comme dépaysé. Ceux qui ont vécu cette période, même au temps où ils étaient enfants, reconstitueront sans peine l’ambiance dans laquelle ils ont vécu autrefois. Mais on se demande si des lecteurs plus jeunes, et qui font dater leurs premiers souvenirs des jours de plus en plus sombres de l’avant-Seconde Guerre mondiale, réussiront à imaginer ce qu’était cette ambiance.
Henry Bordeaux, mobilisé dès le 1er août 1914, prend le surlendemain ses fonctions à la gare de Bercy, où il oriente vers les trains les milliers d’hommes qui rejoignent. Avant la fin de ce même mois d’août, il est affecté à la Régulatrice de Reims, bientôt repliée à Noisy-le-Sec. Au début de janvier, il passe à la DES (Direction des étapes et des services) de la 1re Armée en Lorraine, c’est-à-dire à ce qui était alors le 4e Bureau ; enfin, en décembre 1915, il est muté au 2e Bureau de la même Armée. Ses souvenirs s’arrêtent, dans ce volume, à la veille de l’attaque allemande sur Verdun.
Cet épais volume contient les notes quotidiennes qu’il a prises dans ces différentes affectations. Son âge – 44 ans en 1914 –, sa réputation de romancier, les relations qu’il possède, lui donne une place que ne lui auraient pas valu ses modestes galons de capitaine ; la considération dont il est entouré, la conscience que ses camarades et ses chefs ont de ce qu’il est, de ce qu’il peut être et de ce qu’il doit être – un témoin de la guerre – lui permettent effectivement d’utiliser le don d’observation que possède un grand romancier. C’est pour pouvoir mieux l’utiliser que son général l’affecte au 2e Bureau, après cette longue période de formation et d’information qu’il vient d’accomplir dans la « logistique ».
Ces notes au jour le jour, très variées dans leur monotonie, rendent compte aussi bien et peut-être mieux qu’un rapport sur le moral de ce qu’étaient, en 1914 et 1915, les arrières immédiats du front. Lorsqu’on les lit aujourd’hui, on est frappé de cette simplicité, de cette acceptation sans réticence de l’effort et du sacrifice. Il n’y avait pas de « problèmes » ; il y avait un but national, adopté par tous comme une évidence.
Et c’est peut-être là que résident le témoignage et l’enseignement les plus importants de ces mémoires d’une période particulièrement active de la vie d’un homme dont les œuvres romanesques avaient si souvent célébré des vertus simples et droites qui se retrouvaient, comme un test, au moment du combat. ♦