L’expansion allemande outre-mer du XVe siècle à nos jours
Les Presses universitaires de France avaient entamé, immédiatement après la guerre, la publication d’une importante collection d’ouvrages sous le titre général « Colonies et Empires ». Le but était de familiariser le grand public avec les questions coloniales et, plus particulièrement, de mettre à sa disposition des textes devenus introuvables – les récits des grands coloniaux – et des études sur l’action coloniale des pays étrangers. Sous le titre rénové de « Pays d’outre-mer », cette collection doit comprendre six séries d’ouvrages : Études coloniales, Classiques de la colonisation, Histoire de l’expansion française, Géographie de l’Union française, Art et Littérature, Peuples et Civilisations d’outre-mer.
C’est à la première série qu’appartient le livre de M. Henri Brunschwig, professeur à l’École nationale de la France d’outre-mer. Comme l’indique le titre, il s’agit non seulement de la colonisation allemande, mais de l’attitude du gouvernement et du peuple allemands vis-à-vis des problèmes d’outre-mer. Le sujet est donc largement étendu au-delà de la courte période de 1884 à 1918 pendant laquelle il exista un empire colonial allemand ; il se trouve aussi actualisé, car le comportement d’un peuple aussi important que le peuple allemand présente un évident intérêt au moment où les questions coloniales sont examinées suivant une nouvelle optique. L’intérêt que soulève le livre de Brunschwig dépasse donc celui qu’on accorderait à un simple historique.
L’auteur nous montre les Allemands longtemps réticents à se livrer à une politique de domination et d’expansion par l’occupation de territoires d’outre-mer. Pourquoi ? Parce que les bénéfices de la colonisation pouvaient être tirés sans courir de risques : fournir des fonds pour des entreprises commerciales hors d’Europe, assurer en Europe la distribution des produits coloniaux, cela a semblé pendant des siècles la règle de la sagesse et de l’intérêt bien compris, tant aux banquiers de l’Allemagne du Sud qu’aux armateurs des villes hanséatiques. Conception purement mercantile, très loin des idéaux religieux ou civilisateurs qui animaient en partie les autres peuples lancés dans l’aventure d’outre-mer. Conception adaptée d’ailleurs aux conditions dans lesquelles l’Allemagne s’est longtemps trouvée. « Pour coloniser, il fallait posséder la puissance économique et la puissance politique », simultanément. Or, jusqu’à la formation de l’Empire après 1870, l’une ou l’autre ont fait défaut. Lorsqu’elles se sont trouvées réunies, ce n’est pas sans hésitation et sans réticences que Bismarck s’est rallié à la partie de l’opinion qui, pour des raisons de prestige international, demandait la création de colonies ; les expéditions outre-mer semblaient inutiles, alors que le grand rêve de l’expansion vers l’est, vers les terres européennes occupées par les Slaves, était si vivace.
Mais Bismarck ayant pris sa décision, davantage pour des raisons de politique intérieure que pour répondre à un plan d’expansion coloniale, avec quelle énergie et quelle rapidité sont prises les mesures d’exécution ! En moins d’un an, de mai 1884 à avril 1885, l’Allemagne se trouve dotée d’un Empire qui en fait la troisième puissance coloniale de l’époque. Mais, ce faisant, Bismarck perd l’avantageuse place d’arbitre des questions coloniales, qu’il avait tenue au Congrès de Berlin en 1878, puis à la Conférence de Berlin en 1885.
La colonisation allemande, uniquement mercantile à ses débuts, ne va pas sans abus et sans violences. Un redressement est effectué en 1907, lorsqu’est enfin créé un Ministère des Colonies et lorsque les questions coloniales sont traitées pour elles-mêmes, et non plus en fonction de la politique intérieure ou extérieure. Malgré des principes sains de politique indigène, les réalisations ne correspondent toutefois pas aux espoirs, et les colonies s’effondrent dans les premières semaines ou les premières années de la guerre 1914-1918, sans que le petit nombre des Allemands qui y résidaient ait pu s’appuyer valablement sur les populations. Des Allemands continueront, après 1919, à revendiquer leurs anciennes colonies. Hitler, dans Mein Kampf, se déclare opposé à toute politique d’outre-mer, et ce n’est qu’au début de 1939 qu’il prendra position en faveur du retour à l’Allemagne des territoires perdus au Traité de Versailles.
De l’ouvrage de M. Brunschwig, on peut conclure que les Allemands se sont montrés, au cours de leur histoire, excellents commerçants et habiles intermédiaires entre les pays d’outre-mer et l’Europe, mais médiocres colonisateurs, si l’on donne à ce mot le sens élevé qu’il doit avoir ; peut-être le temps leur a-t-il manqué pour faire leurs preuves.
Au moment où s’ouvre une ère nouvelle dans les relations entre les pays sous-développés et les pays les plus industrialisés, on peut se demander si les qualités dont les Allemands ont fait preuve sont plus importantes que celles qui semblent leur avoir manqué. Ou plutôt, si on ne peut pas combiner, dans une action européenne concertée pour le profit des peuples d’outre-mer, les qualités et les aptitudes particulières des différents peuples européens.
Le lecteur pourra se donner à lui-même une réponse à ces questions, en lisant ce livre relativement court, qui lui permettra de se rendre compte des aspects multiples de l’expansion outre-mer d’une grande puissance. ♦