Secret militaire et liberté de la presse : étude de droit pénal comparé
Le caractère total des conflits modernes impose aujourd’hui à un État de veiller à sa sûreté dans tous les domaines, aussi bien militaire qu’économique, industriel, scientifique, voire politique. Et cette nécessité donne à certains sujets le caractère de « secret de la Défense nationale ».
Mais les moyens d’information et de publication, de plus en plus étendus et puissants font partie des droits attachés à l’exercice de la démocratie et sont l’expression de la liberté d’information.
C’est ainsi que deux problèmes majeurs sont l’occasion de continuelles difficultés entre la Presse et la Défense nationale : la définition du Secret en matière de Défense nationale et le droit à l’information. En résumé, comment concilier en démocratie Défense nationale et liberté de la presse ?
Telles sont les questions qui, sous l’égide de l’Institut des Sciences criminelles et pénitentiaires de Strasbourg, ont fait l’objet d’études et de discussions au cours d’une réunion internationale de trois jours à Strasbourg en 1955. L’auteur nous présente les conclusions de ces études qui ont permis de confronter les positions juridiques de huit pays européens.
Dans la conception française, la définition du secret de Défense nationale englobe toutes les matières susceptibles de toucher à la défense du pays, quitte à attendre des juges la résolution du problème posé par chaque cas particulier.
Les imperfections de ce système sont, hélas ! montrées dans la réalité et nécessitent constamment l’intervention de l’autorité administrative, soit pour préciser soit pour compléter les dispositions légales. De plus, en cas de poursuites, l’autorité administrative doit intervenir pour préciser la position gouvernementale, ce qui donne lieu à une certaine incohérence juridique puisque le ministre de la Défense nationale, en même temps accusateur et expert, devient par le fait même juge et partie.
Beaucoup de pays d’Europe au contraire renoncent à donner une définition générale du secret mais considèrent chaque cas particulier séparément en fonction, non pas des droits du citoyen mais de ses devoirs, estimant que la discipline spontanée et le civisme sont bien préférables, quand on est soucieux des intérêts de sa patrie, au libellé d’une définition. Chacun alors est jugé sur sa bonne foi.
Le deuxième problème réside dans la conciliation de deux besoins souvent contradictoires mais toujours vitaux pour une démocratie : liberté d’expression et Défense nationale.
Si la liberté de la presse est nécessaire à la sûreté intérieure de la démocratie, la protection du secret de Défense nationale l’est tout autant à la sûreté extérieure de l’État. La presse devrait donc connaître des limites à son action et respecter les secrets de l’État. Il n’en est pas toujours ainsi et l’État doit se défendre.
Alors que les autres pays étrangers ne font pas de distinction dans la définition du secret, considéré ou non par rapport à son utilisation par la presse, la loi française a admis l’existence d’une forme particulière de secret propre au domaine de l’Information. Mais le décret-loi d’application n’a pas fait de sélection parmi les informations et a englobé dans la même interdiction les informations de toute nature non rendues publiques par le gouvernement.
Le journaliste peut, en cas d’indétermination, demander des renseignements à l’autorité militaire et s’abstenir dans le doute : « De sorte que la seule garantie qui lui soit donnée reste au fond », dans tous les pays comme en France, « sa propre conscience ».
Un des résultats de ces journées a été de montrer, à la surprise des participants français paraît-il, que dans beaucoup de pays d’Europe (et notamment en Yougoslavie) « les citoyens revendiquent moins de droits et admettent mieux leurs devoirs. Le bon sens, le civisme mieux que le libellé d’une définition dictent au journaliste le parti à prendre. »
Telle est la conclusion qui ressort des études entreprises et qui montre que les caractères contradictoires de Défense nationale et de liberté de presse peuvent être conciliés. ♦