Tsoushima, une poignante épopée de la mer
Ce récit de la bataille de Tsoushima est bien plus que l’histoire d’une des plus grandes batailles navales de l’histoire. Il constitue par ses incidents préliminaires, par l’atmosphère politique et militaire qui empoisonnait le haut commandement, une sorte de condamnation du régime tsariste finissant. Il est aussi, par ses conséquences et par les enseignements qu’on en aurait dû tirer, comme le chapitre premier de l’histoire de la guerre de 1911-1918.
Sans doute, dans cette phase cruelle de la guerre russo-japonaise, l’auteur souligne-t-il justement l’incapacité de beaucoup de chefs russes. Ce fut un des éléments déterminants de la défaite. Mais il met aussi l’accent sur la valeur exceptionnelle des combattants et surtout il glorifie certains grands chefs. Il faut citer l’amiral Makaroff, le commandant de la première escadre du Pacifique, celui qui, s’il avait vécu, aurait sans doute changé la face des choses. Mais deux figures dominent : celle du vainqueur, Togo, celle du vaincu, Rojestvensky.
Togo, c’est la foi faite homme, la foi en son empereur, la foi en son pays. « Au cours d’une émouvante cérémonie il va adresser un hommage aux héros tombés… Voici venir un homme aux cheveux gris, aux yeux noirs et bienveillants. Il s’arrête, s’incline, puis lentement se met à parler… “Esprits des morts, assemblez-vous autour de nous. Écoutez notre appel…” La voix qui fendait comme une lame le rugissement de la bataille n’est plus dure et nette : elle est profonde et recueillie, c’est celle d’un prêtre… »
Rojestvensky, c’est le devoir pur. Rentré en Russie, après ses blessures et sa captivité, il passe en jugement. Il ne dit rien sur ses bâtiments, sur sa croisière épuisante, sur la supériorité de l’armement japonais, les mauvais blindages de ses cuirassés, les fusées et les projectiles défectueux, les chaudières médiocres. Il couvre tout. Lui seul est responsable. Il demande même à l’empereur de gracier les officiers qui se sont rendus. Il prononce enfin ces paroles émouvantes : « Je regrette de n’avoir pas indiqué dans un ordre, avant la bataille, qu’on ne devait sauver le chef de l’escadre qu’au cas où son état de santé lui permettait de commander encore la flotte. On aurait dû me laisser à bord du Souvaroff. »
En vérité, cette « poignante épopée de la mer » est, non seulement un drame de guerre, mais surtout un drame humain. Les hommes qui s’affrontent sont si grands que l’intérêt se fixe sur eux et qu’on se prend à oublier qu’en chacun d’eux reposait le sort d’une grande nation. ♦