L’Homme à la recherché de ses ancêtres
Le sous-titre Roman de la Paléontologie, risque d’induire en erreur. Le mot « roman » implique en effet une action de l’imagination. Or, ceci est un ouvrage de vulgarisation scientifique. S’il s’apparente, d’une certaine manière, à un roman, c’est par sa forme : l’auteur raconte plus qu’il expose. Aussi est-il de lecture agréable et facile. Cependant, ce récit, traitant des principaux problèmes de paléontologie et de préhistoire, est, en fait, l’histoire de la Terre et celle de la Vie. Le plan même du livre souligne l’intention de capter d’abord l’intérêt du lecteur non spécialiste, puis de l’entraîner dans la voie des recherches, en guidant sa curiosité, vers les dernières conclusions et hypothèses de la science.
* * *
La première partie nous introduit immédiatement « Au chevet de l’Humanité ». C’est la « chasse à l’homme fossile », puis l’exposé de la vie de l’homme préhistorique et de ses manifestations d’art. Celui-ci déterminé, l’auteur recherche les origines de l’homme ; pour cela il se pose deux questions : « La première est celle du mécanisme biologique par lequel le singe, ou plus exactement, le pré-anthropoïde, a pu se transformer en homme. La seconde est celle du berceau de l’humanité. » En passant, notre attention est attirée sur une thèse d’un grand intérêt. Il s’agit de celle qui, « faisant appel à des phénomènes néoténiques, ferait sortir l’homme, avec des caractères de fétus, des formes animales voisines des ancêtres des anthropoïdes. » Pour le lieu où l’homme a effectué les premiers stades de son évolution, l’accord semble se faire sur une zone chaude, pour ne pas dire tropicale. Mais s’affrontent à ce propos, les tenants de l’Asie et ceux de l’Afrique. Il faut espérer que quelque prochaine découverte jettera des lumières sur le stade de transition entre les anthropoïdes primitifs et les préhominiens. En attendant, c’est en remontant plus loin dans le passé qu’il faut rechercher les origines de l’homme. Cette quête vient d’ailleurs d’être marquée par une découverte récente, celle du cœlacanthe des Comores, l’ancêtre des animaux terrestres, celui que l’on peut appeler « notre grand-père ».
* * *
« Nos grands-pères poissons et leur nombreuse famille », qui est la deuxième partie, nous fait assister à la conquête des continents par les premiers vertébrés. Ainsi voyons-nous, durant le dévonien, des crossoptérygiens, par leur rameau des rhipidistiens (poissons à nageoires lobées et à choanes – cavités nasales communiquant directement avec la gorge et permettant de respirer la bouche fermée) mener la double vie aquatique et terrestre. Peu à peu au carboniférien, apparaissent les amphibies véritables. Puis, au milieu du secondaire, les premiers reptiles géants commencent à dominer le monde. Or, au stade reptilien apparaît un nouveau mode de reproduction (l’œuf) qui constitue une véritable révolution dans l’histoire de la vie. Après avoir régné cent cinquante millions d’années sur la Planète, les reptiles s’éteignent brutalement et cèdent la prééminence terrestre aux mammifères. À quelle cause attribuer cet effacement subit ? Sénescence raciale ? Inadaptation à des conditions géologiques nouvelles ? La Terre voit le triomphe des mammifères, munis de ces armes puissantes : le développement du système nerveux et le pouvoir de régulation thermique. Après une évolution, dont nous suivons les éléments dans le mode d’articulation des mâchoires et l’apparition de molaires en chou-fleur, voici qu’apparaissent quelques petits marsupiaux qui – nouvelle révolution ! – expulsent leurs petits, avant terme, dans une poche. Puis, annonçant les êtres de l’âge de l’homme et les premiers anthropoïdes, surgissent de petites musaraignes possédant – dernier stade – un placenta.
Dans « Les “pourquoi” et les “comment” de l’Histoire de la Vie », deux problèmes majeurs sont débattus : celui de l’évolution et celui de la vie même. On entend par évolution l’enchaînement continu, progressant du simple au complexe, que l’on peut constater en étudiant les restes des animaux disparus. Les différentes disciplines scientifiques (l’anatomie, l’embryologie, l’étude des groupements sanguins, la génétique, etc.) confirment l’une et l’autre cette théorie. Une démonstration éclatante fut celle du Protobatrachus. Le professeur Piveteau avait conçu un animal, un « missing-link », entre les anoures et les amphibiens ; cet animal, logiquement, ne pouvait pas ne pas avoir existé. Il en avait même fixé les caractères et déterminé l’ère géologique où il aurait dû vivre. Or, quelques années plus tard, le fossile s’est trouvé au rendez-vous du calcul : il a été découvert dans le trias de Madagascar.
À l’occasion, les théories de Lamarck et de Darwin sont opposées et discutées et l’ouvrage magistral du paléontologiste américain Georges G. Simpson, qui cherche des voies nouvelles, est évoqué.
Quoi qu’il en soit, « la vie est reine des mers » et c’est au sein des mers précambriennes qu’il faut chercher les traces de ses premières évolutions. Malheureusement, les terrains correspondants ont été bouleversés, soumis à des températures et à des pressions élevées : les restes d’animaux y sont rares et déformés. On y peut lire pourtant l’acheminement des vers marins vers les oursins et étoiles de mer, puis les premiers insectes, les libellules géantes. C’est donc la preuve de l’enchaînement des êtres vivants, des formes microscopiques à l’homme qui, s’appuyant sur des comparaisons anatomiques et zoologiques, permet de retracer les premiers pas de la vie sur la terre. De nouvelles lumières nous sont données, à cet égard, par l’embryologie. Mais elles ne répondent pas à la question essentielle : d’où vient la vie ?
* * *
« La vie, fille de la lumière » est comme le dernier chapitre du Roman de la Paléontologie : les intrigues vont se dénouer, les personnages vont dévoiler leur secret. Aussi, arrivés à ce terme, allons-nous nous permettre de suivre de plus près l’étude d’André Senet. L’auteur élimine la thèse de l’éternité de la vie et celle de l’existence de pyrozoaires. Admettant que la matière a précédé la vie, il rejette l’hypothèse de la vie transportée d’une autre planète sur la Terre. Il affirme que la vie est née, sur la Terre, de certaines réactions chimiques complexes et que seule une réponse scientifique peut être donnée à la question : « Comment la vie a-t-elle pu naître de la matière ? »
Notons en passant les études sur la génération spontanée de Francesco Itedi (XVIIe siècle), de Spallanzani et de Needham (XVIIIe siècle), les controverses entre Pasteur et l’Anglais Bastian, d’une part, et Pouchet, d’autre part. Pendant soixante-quinze ans, il est officiellement admis que « tout vivant naît d’un vivant ».
Or, en 1935, une incroyable nouvelle bouleverse les biologistes : l’Américain Stanley vient d’isoler un virus et ce virus cristallise tout comme un corps minéral. Il y avait un demi-siècle que l’on connaissait les virus. Pasteur avait soupçonné leur existence. Iwanowski avait apporté la preuve de la réalité de celui de la « mosaïque du tabac ». Puis on en découvrit d’autres. Mais, malgré tous les efforts, aucun virus n’avait pu être isolé. On ne pouvait le cultiver qu’en milieu naturel, contenant quelques cellules vivantes, constituant des hôtes habituels. On pensait donc qu’ils étaient des êtres vivants, des sortes de bactéries ultra-microscopiques. On conçoit donc l’émotion suscitée par la découverte de Stanley. L’invention du microscope électronique permit d’ailleurs d’en découvrir d’autres, ce qui ne fit qu’accentuer le trouble intellectuel ressenti par les savants : les virus sont-ils vivants, oui ou non ? S’ils sont vivants, pourquoi cristallisent-ils et pourquoi ne contiennent-ils pas dans leurs molécules ces corps caractéristiques, les glucides et les lipides ? S’ils ne sont pas vivants, pourquoi se reproduisent-ils ? Leur parasitisme est pourtant certain : ils ne vivent que d’apports fournis par des matières vivantes. Sont-ils des masses intermédiaires entre le vivant et le non vivant ? Par conséquent une persistance du phénomène par quoi est née la vie ?
Pour poursuivre nos recherches sur les origines de la vie, il nous faut maintenant aborder un autre domaine. On sait que les plantes vertes se nourrissent à partir d’éléments minéraux puisés dans l’air (et dans le sol). C’est la photosynthèse ou la transformation du gaz carbonique et de la vapeur d’eau de l’atmosphère en molécules de sucre (lesquelles sont ensuite transformées en corps azotés par combinaison avec des sels puisés dans le sol). Cette notion d’assimilation chloropkylienne est capitale car elle permet la synthèse de composés organiques à partir de corps minéraux et assure la permanence du monde vivant. En effet, vivre c’est fabriquer des aliments organiques. Or, les animaux sont incapables de fabriquer eux-mêmes ces aliments : ils les puisent dans leur nourriture qui elle-même a pour origine, directe ou indirecte, les plantes vertes. Noter qu’en contrepartie ces dernières ne peuvent subsister que grâce au gaz carbonique provenant des manifestations de la vie des animaux. Ainsi se boucle un cycle qui est celui de la vie.
Il a donc fallu qu’à un moment de l’histoire de la terre ce cycle s’établisse, c’est-à-dire que la matière organique naisse du monde minéral. Quel a été le processus de cette synthèse ? MM. Dauvillier et Desguir en 1939) ont bâti une hypothèse, connue sous le nom de « photochimie des origines de la vie » et qui est généralement admise. Le point de départ est l’état de notre planète au moment où la vie est prête à y apparaître. Les eaux de surface étaient chaudes et renfermaient de grandes quantités de gaz carbonique et d’ammoniaque. Les éléments essentiels de l’atmosphère étaient la vapeur d’eau, le gaz carbonique et l’ammoniaque, l’oxygène étant absent. Quatre sources d’énergie étaient en mesure de transformer les éléments minéraux en matière organique : la chaleur terrestre, la radioactivité, l’électricité terrestre, la lumière solaire. Une des caractéristiques de la matière vivante va nous permettre de déterminer celle qui dut agir.
Pour un même corps, l’apparence physique des molécules n’est pas comparable : plus exactement, elles se présentent sous deux formes différentes, comme si l’une était l’image de l’autre dans un miroir. On dit d’ailleurs que les unes sont droites, les autres gauches. Chaque corps organique fabrique toujours des molécules de même sens. Par contre, si l’on fait la synthèse d’un composé organique au laboratoire, on obtient toujours un nombre égal de molécules gauches et de molécules droites. Il convient donc d’expliquer comment la nature a été capable de créer des molécules dissemblables, pour un même corps. Les études entreprises permettent immédiatement de déterminer la source d’énergie responsable de la dissymétrie des molécules : la lumière solaire. Encore faut-il préciser. L’absence d’oxygène dans l’atmosphère (donc d’ozone) laissait passer les radiations ultraviolettes. Or, on sait que l’on peut réaliser des synthèses organiques en laboratoire à l’aide de rayons de très courte longueur d’onde. Mais ceci n’expliquerait la formation de molécules dissymétriques (cf. l’expérience de Pierre Curie) que si la lumière était polarisée circulairement (un rayon de lumière naturelle devient polarisé circulairement après avoir traversé un cristal biréfringent). Il faut donc admettre qu’à un moment donné, certains rayons de lumière solaire, à base d’ultraviolet, ayant traversé, par hasard, des cristaux de quartz, ont créé des molécules dissymétriques. Sans effort, cette hypothèse est admissible.
La matière organique ainsi créée n’est cependant pas encore vivante. Il lui manque deux des attributs essentiels de la vie : la reproduction, la nutrition. Si l’on se réfère aux phénomènes constatés dans l’évolution de la mosaïque du tabac on peut penser que cette matière subit une double action : réaction avec l’oxygène libéré par sa synthèse, fermentation régénérant du gaz carbonique et de la vapeur d’eau. Ces échanges, sans frein convenable vont créer, nécessairement, des molécules de grande taille et dont le gigantisme tend à la scission. Cette rupture est en outre facilitée par le fait que la molécule se charge d’électricité du même signe. Ainsi, mécaniquement et électriquement, nous arrivons à la bipartition.
Comment, de ces centres de matière vivante, le passage s’est-il fait à des formes vivantes plus complexes ? Par le jeu d’interaction des molécules, que les physiciens appellent phénomènes de surface et qui créent des membranes cloisonnant la matière uniforme. Noter en outre que les phénomènes de nutrition (respiration et fermentation) dégageront de l’oxygène qui, transformé en ozone, assure la protection de cette vie naissante contre les rayons ultraviolets. Enfin, il faut admettre qu’apparurent, nu sein de la matière organique, des pigments complexes, analogues à la chlorophylle. Ainsi les cycles essentiels de la vie s’établirent.
* * *
André Senet va chercher l’épilogue de son ouvrage dans la pensée du père Teilhard de Chardin. Coordonnant les conclusions de toutes les sciences mises en jeu pour l’étude du monde en évolution, le père constate que, malgré des variations brusques, l’univers est le siège de mouvements lents et continus dont le principal est Porthogénèse. En dépit des « ratés », des « impasses » dans lesquels ils s’engagent, les systèmes évolutifs se dirigent toujours vers un but bien déterminé et qui est toujours atteint. Le principal est la complication progressive des systèmes nerveux. C’est ce que le père appelle « l’irréversible complexification et céplialisation nerveuse ».
Autre remarque importante du savant paléontologiste : il n’est jamais permis de déterminer avec certitude qu’une espèce dérive directement de telle autre. On constate qu’il existe de nombreuses tentatives en direction d’un type d’animal ; or toutes ces tentatives, sauf une, sont vouées à l’échec. C’est l’évolution « en éventail » dans laquelle un seul rayon s’élève et aboutit.
D’autre part, on peut dégager une loi « de la suppression des origines ». Ainsi, les rhipidistiens (cousins du cœlacanthe) d’où sont issus tous les vertébrés terrestres à respiration aérienne, ont disparu. De la même façon, on ne sait comment s’est fait le passage entre les reptiles et les mammifères, entre les présinges et l’homme, etc. Il ne faut pas s’étonner de cela, dit le père, car les formes qui se trouvent à l’origine d’un groupe zoologique sont obligatoirement peu nombreuses et très plastiques, donc fragiles. Et il conclut en faisant remarquer que si les « préhistoriens » de l’avenir découvraient nos engins les plus modernes (autos, avions, etc.) ils ne pourraient imaginer les types rudimentaires qui ont précédé leur mise au point…
Constatant l’extension progressive des masses humaines sur la terre, le père propose d’appeler noosphère (sphère pensante) celle qui domine la biosphère. Il se crée, en effet, un stade nouveau d’évolution, car les groupes humains pendant longtemps isolés sont maintenant en contact et s’interpénètrent économiquement et psychiquement. De ces confrontations, oppositions, superpositions, multiplications, devrait normalement surgir une humanité ultra-humaine. La « collectivisation » (au sens propre) de l’humanité doit faire naître le surhomme psychique.
C’est sur cette anticipation, fort intéressante, mais dont les conclusions dépassent les données de la science, que se termine Le Roman de la Paléontologie. ♦