À la 24e session de l'Assemblée de l'Union de l'Europe occidentale (UEO), à Paris en novembre 1978, un rapport fit quelque bruit : celui du Britannique Critchley, portant sur « Une politique européenne d'armements ». Il invoquait la nécessité d'une production en commun des armements pour permettre l'interopérabilité et la standardisation des matériels, affirmait que les progrès en ce sens opérés jusqu'à ce jour au sein du Groupe européen indépendant de programmes (GEIP) étaient trop lents et trop limités et il ne proposait rien moins qu'une restructuration de l'industrie européenne d'armements sous l'égide de la Communauté européenne. Cette perspective d'extension abusive des compétences de la Communauté au domaine de la défense suscita, comme on pouvait s'y attendre, les protestations et le rejet de la part des représentants français.
De l'autre côté de l'Atlantique on assiste également à des efforts pour convaincre les Européens, et notre pays en particulier, de l'opportunité d'une coopération entre alliés en matière de production d'armements. Tel est notamment le sens de la lettre mensuelle que diffuse le Centre d’études stratégiques et internationales de la Georgetown University (Washington) dans laquelle M. Thomas A. Callaghan Jr. est directeur de l’Allied Interdependence Project, qui vise à l'intensification de la coopération selon une « two way street » dont une voie reste toutefois pour l'instant singulièrement étroite...
Il serait tout aussi injustifié de céder aveuglément à ces pressions que de refuser systématiquement toute coopération en matière d'armements.
Celle-ci doit être étudiée cas par cas, comme nous le faisons d'ailleurs depuis vingt ans, nos intérêts étant chaque fois soigneusement évalués ainsi que ceux de l'Alliance à laquelle nous appartenons. La véritable indépendance ne consiste pas à se réfugier dans une autarcie qui n 'est d'ailleurs pas à notre portée, mais plutôt dans la possibilité de décider librement avec qui, pour quoi et comment nous avons intérêt à coopérer tout en acceptant les contraintes que cela implique en contrepartie.
Le grand débat de la standardisation des armements au sein de l’Alliance atlantique, ouvert en 1974 par le « rapport Callaghan » (1), a fait indirectement resurgir la question de la position de la France à l’intérieur de cette alliance, non pas tant par l’idée même de la standardisation que par la prise de conscience qu’il a entraînée : la constatation du fait que la liberté de chaque pays de réaliser ou d’acheter ses armements à sa guise, en dehors de tout plan directeur général, conduisait à une anarchie préjudiciable tout à la fois à l’efficacité opérationnelle de ces armements et à l’efficacité financière des moyens qui leur étaient alloués.
En ce qui concerne l’efficacité opérationnelle, la France a démontré – en particulier par la voix de son Délégué Ministériel pour l’Armement de l’époque, J.-L. Delpech (2) – qu’elle résultait de l’interopérabilité des armements et non de leur standardisation, et certains ont même souligné aux États-Unis que la standardisation risquait tout à la fois d’engendrer la médiocrité par manque d’émulation et de faciliter les contre-mesures de la part de l’adversaire (3).
En ce qui concerne l’aspect financier, le problème a été perçu de façon très différente des deux côtés de l’Atlantique. Pour un pays comme la France, en effet, l’intérêt sinon la nécessité de recourir à la coopération internationale pour partager les frais de développement des armements produits est apparue dans les années 1960 (le lancement du programme Transall a même été décidé en 1959). Les États-Unis, eux, compte tenu de leur taille économique et de l’importance de leurs besoins nationaux – c’est-à-dire compte tenu de leur capacité de financement et de leur capacité d’amortissement de ces financements sur de très longues chaînes de production – n’ont ressenti ce même besoin qu’une quinzaine d’années plus tard. L’année 1975 représente de ce point de vue une date historique : celle où le Congrès américain a subordonné son approbation du programme AWACS (4) au partage des frais avec d’autres pays.
Une France individualiste ou atlantique ?
L’armement et les traités internationaux
Indépendance nationale et capacité d’autarcie
La coopération européenne
L’ombre des États-Unis
L’aveugle et le paralytique
Conclusion