Histoire de Vichy
Avec une impartialité d’historien qui l’honore et une richesse de documentation dont nous demeurons émerveillés, M. Robert Aron a retracé l’histoire des cinq années les plus tragiques peut-être que la France ait vécues. La chronologie dépasse ici légèrement les limites du titre, car le récit commence à l’exode du gouvernement de la IIIe République vers Cangé et Bordeaux, en juin 1940, pour se terminer avec la débandade des derniers représentants de l’État français à Sigmaringen.
Ce parallélisme est, lui-même, un enseignement. Toute politique est sujette à l’erreur. Elle hérite celle de ses devanciers comme elle fait peser les siennes propres sur ses successeurs. Ce fut un lourd passif que la défaite légua à Vichy. Certes, des fautes y furent commises dues à l’ignorance politique des uns, à l’opportunisme éhonté des autres, mais il n’en demeure pas moins que la figure du Maréchal Pétain soit grandie de ce Verdun diplomatique comme elle s’était illustrée, vingt-trois ans auparavant, au Verdun militaire. Plus on lit l’histoire de ces cinq années, plus on acquiert la conviction que la politique du Maréchal n’eut d’autre but, dans l’immédiat, que d’empêcher l’asservissement total de la France, sa « polonisation », génératrice de souffrance et élément paralysant de toute résistance ultérieure. Quant à son objet lointain, il fut de permettre et de hâter la victoire. Philippe Pétain employa à cet effet toute la finesse d’une intelligence remarquablement manœuvrière et sous une apparente apathie et un goût simulé de la temporisation, une volonté et un esprit de décision dont ne purent avoir raison ni les intrigues de palais, ni les essais d’intimidation de la force allemande.
Il faut lire, dans l’ouvrage de M. Aron, les détails de l’entrevue de Montoire et la fameuse journée du 13 décembre, double coup d’arrêt à la politique de Laval, pour que s’éclairent certains points demeurés obscurs et qu’éclate une vérité défigurée par la passion partisane.
Le livre de M. Aron relate, on pourrait dire jour par jour, ces difficiles années de Vichy. Sa documentation est, je le répète, surprenante. On s’étonne même que certains dossiers aient livré des secrets dont, en d’autres temps, la justice française n’eût jamais fait l’abandon. Mais la richesse de ses sources n’est pas le seul mérite de l’ouvrage. Le talent de l’écrivain y ajoute cette résonance de chose vécue qui semble réveiller en nous nos angoisses d’hier, nos révoltes enfin apaisées et beaucoup d’espoirs, hélas ! évanouis. ♦