Triomphe et Tragédie. Vol. I et Vol. II
Ces deux volumes, intitulés Triomphe et Tragédie, sont les cinquième et sixième des Mémoires de Winston Churchill sur la dernière guerre mondiale. Ils terminent la série. Le cinquième (La Victoire) va du 6 juin 1944 (débarquement en Normandie) au 3 février 1945 (Conférence de Yalta). Le sixième (Le Rideau de fer) va du 4 février au 26 juillet 1945 (date à laquelle Churchill abandonne ses fonctions de ministre. Rien de plus attachant que la lecture de ces souvenirs d’un des plus grands acteurs du drame que nous avons vécu et dont nous subissons actuellement les effets.
On trouve dans ces pages d’histoire, appuyées par des documents personnels et officiels, la préparation, l’enchaînement des événements politiques et militaires, leur explication ou tout au moins leur interprétation, des conflits de tendances et de projets, des regrets, des réalisations, un triomphe chèrement payé, plus apparent que réel puisqu’il laisse aujourd’hui encore des États à reconstruire, des peuples à relever, partout des ruines matérielles et spirituelles. Churchill s’est retiré de la scène le cœur bourré d’angoisses, sentant que rien n’était achevé, que tout était à recommencer dans la lourde tâche de donner une paix durable au monde. C’est là le sentiment qui domine le dernier volume de ces mémoires. Il dicte à son auteur des jugements parfois sévères sur les acteurs du drame. Le ton est personnel, parfois très affirmatif. Qu’on lise par exemple ce qu’il dit des efforts qu’il fît pour éviter l’évacuation en masse des Allemands du territoire polonais, lorsque cette question fut discutée : « je ne parviens pas à obtenir l’appui des Américains sur ce point et les Russes, qui poussaient les Polonais devant eux, poursuivirent leur avance, refoulant les Allemands, dépeuplant de vastes régions dont ils raflaient toutes les ressources en vivres, et chassant une multitude de bouches à nourrir dans les zones américaines et britanniques déjà surpeuplées. Peut-être aurait-on pu encore revenir sur la question même à Potsdam, mais la dissolution du Gouvernement britannique d’union nationale et mon exclusion de la scène des débats au moment où je disposais toujours de pouvoirs et d’une influence considérable, rendirent impossible la conclusion d’accords satisfaisants.
Et Churchill ajoute : « Ni Mr. Eden ni moi ; n’aurions jamais admis la Neisse occidentale comme frontière. »
Que de remarques de cette importance, inspirées peut-être ou fortifiées par le spectacle de l’après-guerre, on trouve dans ces derniers volumes de mémoires. Que de questions capitales abordées, parfois traitées, souvent abandonnées dans les rapports et rencontres de Churchill avec Staline, Roosevelt, Truman, Eisenhower, de Gaulle, Tito et autres grands acteurs de la tragédie mondiale. Churchill fut averti par Truman de l’emploi de la bombe atomique pour contraindre le Japon à capituler, et il déclare avoir sans hésitation, approuvé cette terrible mesure. Les rapports avec de Gaulle ne furent pas toujours très cordiaux, mais il reconnaît son action et l’appui apporté par la Résistance lors de la libération du territoire français. Il a des paroles d’estime et de sympathie pour de Lattre de Tassigny, mais on pourra trouver que Leclerc, Juin et Kœnig ont une bien petite place dans ces Mémoires qui parlent, il est vrai, d’un drame dont la scène est immense. ♦