Guerres et population
On a, de tout temps, attribué aux guerres un certain nombre de causes. Parmi celles-ci on a toujours fait une place importante aux causes démographiques. Ce sont surtout les Grecs qui ont le plus nettement exprimé cette thèse. La théorie de la guerre par surpeuplement est classique depuis Hérodote et Polybe. À plusieurs reprises, Thucydide indique que le chômage, d’une part, et la nécessité de ravitailler la trop dense population, de l’autre, imposèrent à l’État athénien la politique d’expansion à tout prix, qui devait aboutir aux désastreuses guerres du Péloponnèse. Il souligne des traits résultant de cette situation qui lui paraissent significatifs. C’est ainsi qu’à Athènes, la surabondance de main-d’œuvre était telle, au début de cette guerre, que les citoyens étaient heureux de trouver à s’engager comme rameurs sur les galères. À Rome, l’accroissement de la population transforme les plébéiens, petits propriétaires ruraux, en prolétaires, qui refluent vers les villes, y deviennent un élément de désordre, et appuient toujours de leurs votes les tendances belliqueuses, car ils voient dans la guerre le seul moyen d’améliorer leur situation. Ils attendent que les conquêtes leur apportent des concessions de terres, éternel espoir des anciens paysans ruinés. L’épisode des Grecques, puis la politique de Marius, sont particulièrement représentatifs de ce genre de situation.
Il semble qu’à partir du Moyen Âge ce point de vue, qui relie l’impulsion belliqueuse à des facteurs démographiques, se soit affirmé davantage encore. Citons quelques exemples révélateurs de l’opinion du temps. L’Allemand Ulrich von Hutten écrit, en 1518 : « La guerre est nécessaire afin que la jeunesse sorte, et que la population diminue. » Un autre Allemand, Sébastien Franck, écrit en 1538 : « Si la guerre et la mort ne viennent pas à notre aide, il faudra sortir de notre terre et nous en aller comme des Bohémiens. » Bodin (République, livre IV) exprime une opinion analogue sur la nécessité biologique des guerres. À cette même époque, Sully est tellement pénétré de cette situation, que dans son projet de paix perpétuelle (qu’il appelle le « Grand Dessein » et attribue à Henri IV) il a soin de prévoir une guerre permanente au Grand Turc comme exutoire à la virulence des nations intéressées. Citons enfin Montaigne : « … Ils ordonnent pour cela aux athlètes les purgations et les saignées pour leur soustraire cette surabondance de santé… De semblable replétion se voyent les estats souvent malades et l’on a accoustumé d’user de diverses sortes de purgation… Parfois aussi, ils ont a escient nourry des guerres avec aucuns, leurs ennemis, non seulement pour tenir leurs hommes en haleine… mais aussi pour servir de saignée à leur République et esvanter la chaleur trop véhémente de leur jeunesse, escouter et éclaircir le branchage de ce tige foisonnant en trop de gaillardise… » (Essais, chapitre XXIII, I, II.)
Il s’agit donc là d’un sentiment assez général. Cependant, si l’on veut, d’une manière systématique, confronter cette thèse avec la réalité, on constate un certain nombre de contradictions très frappantes et suffisamment marquées pour infirmer dans bien des cas la théorie tout entière.
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