J’ai vu tomber le rideau de fer
Les souvenirs rapportés par le général Catroux de son ambassade à Moscou, de février 1945 à avril 1948, arrivent à point pour nous faire comprendre le déroulement actuel du conflit qui oppose à l’URSS ses anciens alliés de la dernière guerre. L’auteur a assisté en négociateur aux premiers dissentiments, à leur évolution à travers les multiples conférences tentées pour les résoudre, aux décisions aggravées qui en marquaient les étapes. Il a été continuellement en contact avec les hommes du Kremlin pendant trois années d’importance capitale. Venu à Moscou avec la mission de faire vivre un pacte franco-soviétique, que les deux parties n’avaient pas conçu dans le menu-esprit, il s’est heurté immédiatement aux difficultés d’ordre spécifique qui devaient rendre impossible la conclusion avec l’URSS d’accords loyaux et sincères. Elles sont apparues dans toutes les négociations, celles où nous était marchandé notre retour au rang de grande puissance, comme celles qui devaient définir le statut de la paix, singulièrement celui de l’Allemagne vaincue. Le bilan final devait être négatif. Quand les Alliés se sont raidis et que le « Bloc occidental » s’est formé, le rideau de fer est tombé.
Le général Catroux nous démontre que l’intransigeance soviétique fut presque invariablement à la base de ces échecs, en dépit de concessions souvent dangereuses de la part des partenaires occidentaux. En psychologue averti, aidé d’un sens politique aigu, il nous en dévoile les vraies causes, celles qui échappent à l’emprise de toute diplomatie. Il les voit, d’une part, dans la volonté inflexible des dirigeants soviétiques de faire triompher le marxisme stalinien en Europe et dans le monde, véritable croisade idéologique qui ne souffre ni reculs ni accommodements, sinon provisoires et calculés ; d’autre part, dans la foi mystique de la nouvelle génération russe en l’absolu des impératifs soumis, non à son libre examen, mais à son instinct primaire de la dévotion au chef autoritaire qui lui fixe ses voies, les lignes de sa pensée et les formes de sa vie.
Pour avoir longuement sondé et analysé celle société transformée, où l’État est tout et l’homme dépersonnalisé, lancée à la conquête des pays encore réfractaires au nouvel Évangile de l’Humanité, le général Catroux nous ôte toute illusion sur les lendemains qui nous attendent. Et il situe dans l’immédiat le problème allemand, qui est pour Moscou le problème cardinal : l’Allemagne sera intégrée dans l’imperium soviétique, ou reprendra son rôle historique de marche de l’Occident, face au monde slave. Dans cette alternative où toute négociation apparaît vaine, l’Europe de l’Ouest va-t-elle disposer d’un potentiel cohérent de forces morales et matérielles capables d’écarter d’elle un système idéologique qui déjà recouvre d’immenses espaces humains ? La conclusion du général Catroux nous convie à cet effet, et sans biais, à un puissant rassemblement de nos forces et de notre vouloir. ♦