Carnets d’un captif
Ce livre est constitué par les notes écrites au jour le jour par l’ambassadeur François-Poncet depuis son arrestation par la Gestapo de Lyon le 27 août 1943 jusqu’à la fin de la guerre. Elles relatent les circonstances de son internement au Château d’Itter en Autriche, puis à Hirschegg, petite localité du Walsertal dans le Vorarlberg austro-bavarois.
François-Poncet, universitaire d’origine, et agrégé d’allemand, avait pris, pour lutter contre le spleen de sa captivité, l’excellente habitude de consigner les réflexions que lui inspirait la lecture des livres envoyés dans ces deux lieux de captivité par les soins de l’Entr’aide universitaire. Le livre contient donc une partie importante consacrée à la critique littéraire, des pages aussi substantielles que suggestives sur des auteurs connus tels que Rabelais, Lamartine, Balzac ou Vigny. Le diplomate eût été un excellent critique littéraire.
Ce qui intéresse davantage ici sont les descriptions et impressions de ce captif de marque, de ce profond connaisseur de la Germanie, à mesure que se déroulent des événements dont il ne perçoit d’ailleurs, dans sa retraite forcée, que des reflets sanglants. Avec l’esprit caustique qu’on lui connaît, André François-Poucet nous donne tout d’abord des croquis savoureux de son enlèvement, de ses transferts aux côtés du président Lebrun, de sa vie au milieu de ses codétenus, eux aussi au moins aussi notoires qu’il l’est, puisqu’ils s’appelaient Paul Reynaud, Édouard Daladier, Maurice Gamelin dans la forteresse d’Itter, et, dans l’hôtel prison tyrolien, Nitti, Albert Sarrault, Joseph de La Porte du Teil, la duchesse d’Aoste et autres.
Nous assistons, grâce à lui, à la détérioration progressive du moral allemand vu à travers les patrons et le personnel de ces étranges prisons. Nous voyons les difficultés qu’avaient des esprits de cette classe et de cette trempe à lutter contre l’ennui et le désespoir, réduits qu’ils étaient à la pâture des radios officielles, des journaux de Munich ou des bribes de conversations.
Une des angoisses les plus horribles qui les étreignaient fut de se demander s’ils n’étaient point conservés à l’hôtel Ifen comme otages, comme monnaie d’échange ou comme victimes au moment de l’écroulement final, s’ils n’allaient pas être emmenés dans le fameux réduit alpin où Hitler aux abois avait un moment projeté de se réfugier pour l’ultime résistance. Parmi les idées politiques émises par l’ancien ambassadeur à Berlin, on notera la crainte que lui inspirait, dès le début, l’avance soviétique jusqu’au cœur de l’Allemagne. La suite de l’histoire a montré, malheureusement, qu’il ne s’était pas trompé. Le livre constitue en tout cas, sous une forme dramatique et toujours élégante, une excellente contribution à l’histoire de la dernière guerre [Seconde Guerre mondiale], vue d’une retraite forcée que ne s’est jamais expliquée l’auteur. ♦