Changeons nos méthodes
La dangereuse maladie dont souffre notre pays depuis plusieurs années est incontestablement notre paralysie, notre anémie extrême. Un ouvrage récent de Fourastié et Monté, l’Économie française, montre notre retard inquiétant sur les autres pays. En France, 7 millions de travailleurs nourrissent une population d’une quarantaine de millions d’individus. En Amérique, 8 millions environ seulement suffisent pour nourrir une population plus de trois fois plus nombreuse. Même état de choses pour l’industrie : l’efficience de l’ouvrier américain est de 3 à 6 fois celle de l’ouvrier français. Or il est un fait : c’est que la vie, et la vie d’une nation en particulier, est caractérisée, matérialisée, peut-on dire, par la somme des œuvres créées. La vie c’est la création perpétuelle. C’est une lutte contre la nature, contre le temps. Qu’est-ce que la mort, son antithèse, sinon l’absence de mouvement et de changement, c’est-à-dire l’absence de création ?
Si donc la France prolonge trop longtemps son temps d’inaction, si son démarrage est trop lent à se produire, elle sera dans un état de léthargie, voisin de la mort. Indépendamment du fait que cet état n’a rien de réjouissant, il faut, d’ailleurs, se convaincre que nous ne pouvons vivre indéfiniment, à la petite semaine, à coups d’expédients. Cela ne peut durer qu’un temps. Un malade ne peut supporter longtemps une forte anémie. Il faut qu’un remède énergique vienne rapidement lui rendre ses globules. Sinon, c’est la mort à plus ou moins brève échéance. Une machine usée que l’on fait marcher trop longtemps sans la réparer n’est plus réparable. Des accumulateurs qui débitent à plat, ne sont plus rechargeables. Méfions-nous. Faute d’avoir vu le mal à temps nous risquons de nous en apercevoir trop tard.
Or le mal dont nous souffrons, le mal qui est la cause de notre paralysie et qui empêche le démarrage de notre production, c’est l’« inefficience » de nos méthodes de travail. Certes, nous avons quelques excuses, car la terrible épreuve qui a failli faire de la France un pays esclave, a mis à l’épreuve non seulement le potentiel physique de la nation, mais aussi son moral, ses capacités de réaction, d’espérance, en un mot son potentiel vital. Cependant, il serait impardonnable de ne pas réagir et de ne pas mettre le doigt sur nos errements, sur les causes de notre faiblesse. Oui, nos méthodes sont souvent « inefficientes ». Car nous nous confinons dans des discussions stériles, sans aucun souci de faire passer leur résultat dans des actes. Nous n’avons pas soif de créer. Nous nous contentons des idées et nous estimons que nous avons bien travaillé lorsque nous avons conçu. Nous n’adorons pas réaliser et nous n’avons pas la suite dans les idées qu’il faudrait pour les faire passer dans le réel.
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