Justice pour ceux de 1940
Les Français attendaient ce livre. Il fallait enfin dégager le « spectre de 1940 » des légendes qui l’entouraient, éclairer les avenues de la critique, rendre justice à tous et faire la « cure » nécessaire de notre moral. Le général André Laffargue s’y consacre dans une remarquable et impartiale étude. Il ressuscite l’armée de 1940, telle qu’elle était et non point telle qu’un décor de désastre a prétendu la montrer. Cette tardive mise au point ne décevra pas. Mieux : elle apporte à la grande phalange, victime silencieuse du drame, justice et apaisement et aux Français l’explication qu’ils cherchaient en vain. Car tous les actes qui concoururent à la défaite sont ici rigoureusement criblés, analysés et mesurés, sans complaisance ni passion : il fallait prouver et non innocenter.
Inférieurs en bien des domaines et gagnés de vitesse, nous le fûmes, certes, mais pas au point où un renversement était sans espoir. Les fautes, les insuffisances, les retards enregistrés dans notre politique de guerre et notre préparation, la persistance, dans le moral et dans la chair du pays, des conséquences anémiantes de l’autre guerre et, pour tout dire, notre répugnance à de nouvelles perspectives guerrières, n’avaient pourtant pas annihilé tous les ressorts moraux de notre armée mobilisée. Sa tenue au feu n’a pas été, à tout prendre, inférieure à celle de l’armée de 1914-1918. L’auteur en donne de frappants et magnifiques exemples. La bataille des doctrines – la digue opposée au bélier – n’a pas établi péremptoirement la faillite de la doctrine française, qui ne fut pas résolument appliquée. Notre matériel, s’il fut dépassé, notamment dans l’armement antichars et en aviation pouvait faire bonne contenance dans une bataille mieux conçue. Où fut donc la faute capitale, celle qui détermina l’effondrement ?
Le général André Laffargue la voit dans la funeste détermination d’exécuter la manœuvre Bréda qui porte notre 7e Armée en Hollande, dégarnissant ainsi notre front sensible auquel allaient manquer quelques divisions supplémentaires pour recevoir l’attaque et probablement colmater la brèche, aux points où elles pouvaient se produire. La brèche de la Meuse, ouverte par l’infanterie allemande et non par les chars, a permis cette ruée irrésistible des blindés qui a rompu l’équilibre vital du front et rendu toute manœuvre impossible. « Blessure mortelle » suivie d’une inondation terrifiante qui a fait croire à une gigantesque faillite de l’armée. Peut-être eût-il suffi d’un poids additionnel de quelques divisions dans ce secteur pour conjurer le drame et mettre en échec doctrine et plan allemands.
On peut avoir un autre avis : il sera désormais malaisé à défendre. Il reste que cet ouvrage était indispensable à l’Histoire. Il est aussi un acte de haute conscience, jailli du cœur. « Ceux de 1940 » sauront gré à l’un des leurs d’avoir dit et prouvé que la défaite ne résulta pas d’une altération de leurs traditionnelles vertus. Mais ils retiendront aussi que furent trop délaissés les impératifs de vigilance dont l’observation permanente évite aux nations de mourir. ♦